Je ne sais pas où je me trouve. Je n'en ai pas la moindre idée. J'ai à peine conscience de ce qui m'entoure. Le vide s'est fait dans mon esprit. Mon corps est meurtri. Ecorché, torturé, mutilé. J'ai perdu le fil du temps depuis un moment déjà. Seule ma respiration chaotique résonne dans mes tympans. Mes mâchoires se serrent pour encaisser un nouveau sort. Mon pouvoir réponds du tac au tac. J'entends les cris d'agonie de mon attaquant, avant qu'il ne s'effondre au sol, comme tous les autres. Lorsque je parviens à ouvrir les yeux, je ne vois rien de plus que du sang. Le mien, qui dégouline de mon front. Et celui de toutes les victimes qui ont tentés de m'approcher. Partout. Tout autour. Les cadavres ou du moins, ce qu'il en reste, jonchent le sol dans un spectacle qui ferait vomir n'importe quel être vivant. Ça sent la merde et la crasse. La mort et la noirceur. Ils défilent, les uns après les autres, avec leurs questions auxquelles je refuse de répondre. Ça fait des heures qu'ils essayent d'avoir leur info. Même leur mentaliste, n'a pas réussi à pénétrer la forteresse qu'est devenue ma tête. Il est mort avant d'avoir pu obtenir la moindre information. Ils n'ont toujours pas compris, que ce que je crois être des chaines et tout leur bazar pour me retenir ne sera jamais suffisant pour me garder en cage. Et pourtant, je m'essoufle. Chaque sort, chaque lame qui pénètre mon corps parvient à m'arracher un fragment d'énergie. Bientôt, je ne serais même plus capable de penser. Mon corps ne pourra plus encaisser. Est-ce que je vais vraiment crever là, enfermé dans cette cage, la tête broyée par la souffrance ? Un énième cri d'agonie m'est arraché, alors même qu'un courant électrique me transperce de part en part. Mon corps se crispe sous la souffrance insupportable qui m'est inflingée. Mes mâchoires se serrent durement dans l'espoir d'encaisser le choc. C'est bien trop fort. Bien trop douloureux. Un voile noire tombe devant mes yeux. Des voix résonnent, déformées, tandis que je garde à peine conscience. Tuez-moi putain, qu'on en finisse.

- Répète ce que tu viens de dire.

Ma voix est calme. Pourtant elle tranche l'air comme de l'acier. L'homme debout de l'autre côté de mon bureau semble se ratatiner sur lui-même. Son visage perd peu à peu de ses couleurs. Il ne parvient même plus à me regarder directement dans les yeux. S'il avait pu se liquéfier entre les planches du parquet, sans doute l'aurait-il déjà fait. Mais même cette cachette de rat n'aurait pas pu lui épargner mon courroux. Rien ne peut m'échapper, tant que je ne l'ai pas décidé.

- C-c'est Monsieur Zayn qui l'a demandé ... Nous n'avons fait que suivre les ordres, nous ...

Sa langue s'emmêle dans un hoquet pitoyable lorsque j'entre en mouvement. Rien de brusque pourtant. Mes jambes s'animent, me faisant simplement contourner le bureau. Le type me guette comme un animal acculé qui attend qu'on lui rompe le cou.

- Répète, ce que tu viens de dire.

Mes lèvres articulent plus encore ma requête. Ma patience s'effrite à mesure que mes chaussures s'avancent sur le tapis. Mon timbre n'est déjà plus aussi froid qu'auparavant. Le voilà sifflant. La colère obscure jusqu'à présence en latence dans mes tripes s'infiltre au coeur de mes mots.

- Ce n'est pas si compliqué pourtant, je gronde en arrivant à sa hauteur.

Ma poigne s'abat contre sa gorge. Il est déjà plaqué contre le mur le plus proche lorsque ses ongles s'incrustent désespérement dans le dos de ma main. Ses yeux fous cèdent à la panique. Ils me supplient entre deux halètements apeurés.

- Je ... Je ... C'est Reece ...

Mes doigts se resserrent instinctivement sur sa trachée en compote. Il cherche un peu plus son air alors que la terreur tinte ses traits. Je me demande un instant si son coeur ne va pas le lâcher avant qu'il ait le temps de prononcer ses dernières paroles.

- Dans le sous-sol, ils ont ... Ils m'ont demandé de venir vous chercher ... Impossible de ... d-de l'approcher ...

La fureur qui hurle dans mes veines est inomable. Elle s'incruste das chaque fibre de mon être. Elle se déploit dans mon esprit et enchaîne la moindre de mes pensées. Le goût de la mort se répand sur ma langue. Il glisse sous la surface de ma peau. Il gagne mes doigts qui enserrent la gorge de ma victime. Je me recule d'un pas. Son corps s'abat par terre. Il tousse, il crache ses bronches. Il rampe à mes pieds en cherchant de l'oxygène.

- Tu vois quand tu veux.

Ma main attrape calmement le flingue dissimulé à l'arrière de ma veste de costume, dans ma ceinture. Le bruit de la sécurité qui saute lui fait relever la tête. La seconde suivant, une balle percute son front. Son crâne part violemment en arrière. Sa cervelle éclatée explose sur les murs dans un geyser de sang. Sa masse inerte retombe mollement sur le beau tapis. J'ai déjà tourné les talons. Mon arme rejoint sa place. J'ai quelque chose à régler au sous-sol.

Ils ont Léo. Ils. Ont. Léo. Zayn a osé. Zayn l'a fait. Il s'en ait pris à lui. Il a brisé ce pacte immonde, celui qui m'imposait de laisser Léo pour sauver Milo. Celui qui m'attestait que je préservais leurs deux vies, si je me pliais à sa volonté. J'attrape mon téléphone rangé dans la poche intérieure de ma veste. Mes doigts écrivent rapidement un message à l'intention de mon fils. "Rentre tout de suite à la maison. Ne fais pas de détour et ne parle à personne. C'est très important, Milo." Le SMS envoyé, c'est mon supérieur que j'appelle ensuite, tandis que mes jambes continuent de fendre le bâtiment pour gagner les étages inférieurs. La colère bondit entre mes flancs lorsque la voix de Zayn s'élève à l'autre bout du fil.

- T'as dépassé les limites, fils de pute.

Quelques secondes de surprise passent avant qu'un ricanement moqueur secoue sa carcasse.

- Ne t'avise pas d'outrepasser ma tolérance, Reece. Tu sais ce qui se passe quand un chien grogne contre son maître ? On l'abat, et on le donne à bouffer aux autres.
- Fais en sorte que je crève avant toi, Zayn, je réponds d'un sourire glacial. Sinon je ferai en sorte de retrouver ton âme où qu'elle se trouve. J'irai l'arracher moi-même des griffes du diable s'il le faut. Et je m'occuperai si bien de toi que tu regretteras de ne pas être resté en enfer.

La communication coupe alors que je m'enfonce dans les sous-sols. Mes yeux s'attardent rapidement sur l'écran. J'ignore si c'est le réseau qui a flanché ou si c'est lui qui a raccroché. Mais ce n'est de toute façon pas un problème que je compte régler immédiatement. Quelque chose de plus urgent m'attend.

Je sens la présence de Léo avant même d'entrer dans la pièce. Son aura pulse. Elle dégueule de magie. Elle agonise sous les plaies qui l'enserrent. La porte vole claquer contre le mur lorsque je pénètre là où ils le retiennent. Mon entrée en scène soulève de vives réactions chez les hommes de Zayn ammassés là. J'ignore jusqu'à leur existence. Mon attention entière se fige à l'autre bout de la salle.

Mes pas ne ralentissent même pas. Mon esprit ne fonctionne plus. C'est l'instinct pur et dur qui me pousse à avancer vers lui, qui me supplie de le rejoindre pour s'enquérir de son état. Et ce que mes yeux découvrent me fend le coeur. Léo est là, écrasé sous le poids des chaînes qui le retiennent prisonnier. Le sang macule son visage et brouille ses sens. Sa respiration est vive, mais son corps paraît éreinté. L'odeur putride des lieux me saute au nez. Mes pas s'arrêtent aux premières traces carmins qui strient le sol. Il y a des corps partout de l'autre côté de cette ligne invisible. Des cadavres qui ont flanché sous le poids du pouvoir défensif de Léo. L'hésitation m'empêche d'aller plus loin. Mon époux a tué chaque être vivant ayant eu le cran de s'approcher de lui. Dans l'état qu'il est, je ne suis pas certain qu'il me reconnaisse. Mais pire encore, eu vu des derniers mots que nous avons échangé, j'ignore même s'il éprouverait le moindre scrupule à me tuer en connaissance de cause.

Or si je meurs, Léo ne sortira pas d'ici. Et Zayn n'aura pas la correction qu'il mérite.

- Léo, est-ce que tu m'entends ?

Mon ton a perdu de sa superbe, presque suppliant. Mon souffle s'élève à peine. Mon alliance diffuse une chaleur ensorcelée contre ma phalange, en réponse à la présence de sa jumelle à quelques mètres de là. Je n'ai pas l'occasion de m'assurer de sa lucidité. Certains de mes hommes trouvent l'audace de venir zoner dans mon dos.

- On s'est dit qu'il n'y avait que vous qui pourriez l'approcher. M'sieur Zayn voulait obtenir des informations, mais on a perdu beaucoup trop de gars dans la manoeuvre ! Même pour le relâcher, c'est tout bonnement impossible. C'est un chien enragé !

Mon souffle se bloque quelque part dans mon torse. Un voile rouge tombe devant moi. La fureur annhile alors le moindre contrôle de mon esprit. La magie explose en moi. La noirceur m'envahit. Elle se diffuse en moi comme une tâche d'encre dans un verre d'eau. Mon pouvoir s'éveille. Je le sens grignoter le bleu de mes yeux, pour ne laisser que la teinte du néant. Lorsque je me tourne vers le groupe d'hommes armés, l'univers a changé de perspective. Tout n'est plus qu'une gigantesque palette de gris. Je vois leurs silhouettes aux contours floutés s'agiter. Et surtout, je vois l'halo de lumière unique qui rayonne en chacun d'eux. Leurs âmes. A portée de main.

Je fais un pas vers eux. Juste un pas. Ma magie s'est déjà ancrée sur eux. Je les écrase sous ma volonté. Je les broie, je les réduis à néant. Il y a plusieurs manières de donner la mort. Il y a plusieurs façons pour détruire une âme. Et cette fois, je leur accorde toute la souffrance que leurs êtres abjectes méritent. Les glapissements de douleur me parviennent à peine, étouffés qu'ils sont dans la dimension noire où je me trouve. Ils ne m'atteignent pas. Jamais. Les halos se tordent et se déchirent entre les filaments cruels de ma magie. Ils clignotent, comme des ampoules en fin de vie. Et puis, plus rien. L'obscurité.

L'air passe de nouveau dans mes poumons. La colère reflue lorsqu'il n'y a plus rien à tuer dans cette pièce. L'ombre recule. Le bleu reprend ses droits sur mes iris. D'un clignement de paupière, le monde récupère ses couleurs. Je le regrette presque. Le rouge sanguinaire qui recouvre l'endroit ne fait que me rappeler le supplice de Léo, à deux pas de là.

- Sjelevenn, je murmure, la gorge nouée.

Cette fois, je ne résiste pas au besoin de rompre la distance. Il faut que je le touche. Que je constate les dégâts. Et surtout, il faut que je le sorte de là, avant que Zayn rapplique.

J'entends des voix. Ils parlent entre eux. Je suis incapable de dicerner ce qu'il se dit cependant. Je suis à peine conscient de ce qui se passe. Je tente de garder les pieds sur terre, de ne pas laisser mon esprit divaguer, malgré toute la souffrance qui habite mon corps. Un bruit lourd se fait entendre. Quelque chose se passe. Je tente de relever la tête. Quelque chose à changé. Je le sens, au plus profond de moi. Je suis trop fatigué pour chercher plus loin. Ma tête retombe d'elle-même. Cette voix... Mon prénom... Est-ce que j'ai vraiment perdu l'esprit ? Eze. C'est lui. Il est dans ma tête. Un sourire triste s'étire à peine sur mes lèvres carmin. Je suis devenu fou. Je vais mourir. Dans ce trou à rat. Je vais mourir et on esprit ne pense qu'à lui soudain. Son visage, notre mariage, tout me revient en flash. Lui, juste lui.

Ma respiration peine à agiter mon buste. Il se passe des choses, non loin de moi. Mais je ne suis plus vraiment en état de savoir de quoi il s'agit. Mon pouvoir s'agite encore autour de moi. Il veille, à l'aide des forces qu'il me reste. Il guette la venue du prochain qui tentera d'approcher et qui rejoindra ses amis déjà morts. Des cris d'agonie bercent mes oreilles. Cette fois, mon corps réagit de lui même. Mes paupières s'ouvrent. Mes iris aperçoivent une silhouette, un homme devant des dizaines d'autres. Ce sont eux, qui crient. Ce sont eux, qui meurt d'une façon qui parrait bien plus horrible que la mort elle-même. Je souris, entre deux souffles haletant. C'est Eze. Eze vient me sauver.

Mon pouvoir se crispe. Il ne sait pas comment agir. Est-ce que c'est vraiment lui ? Je ne sais pas. J'en sais rien putain. Il approche, cet homme. Trop vite, trop fort. Mon pouvoir agit avant même que je le réalise vraiment. Il l'arrête brusquement. En une fraction de seconde, il lui a empoigné la gorge pour arrêter sa course. Il le serre et le soulève, le maintenant dans les airs à quelques centimètres du sol. Ce n'est pas lui. Ça ne peut pas l'être. Je déglutis en tentant de me redresser. Mes chaines me bloquent encore. Elles me lascèrent, chaque fois que je bouge. Elles brûlent ma peau, m'arrachant des gémissements étouffés entre mes dents serrés. C'est mon pouvoir qui parle, c'est l'instinct de survie d'une bête acculée et blessée. Mes yeux finissent par faire le point. Sa silhouette devient moins flou. Elle s'épaissi, détaille sa carrure pour finalement dévoiler son visage. C'est lui. C'est vraiment lui.

« Ezekiel... » articulais-je difficiellent.

Mon pouvoir disparait. Il s'efface en un coup. Mon corps se laisse retomber au sol en même temps que celui de mon mari. C'est fini. Il est là. C'est fini.

Mon impulsion est brusquement arrêtée par l'intervention de Léo. Sa magie m'attrape à la gorge. Mes pieds quittent dangereusement le sol. Je risque à tout moment de finir comme l'un de ces cadavres gisant à travers la pièce. Et pourtant, je refuse catégoriquement de faire appel à mes propres capacités pour me défendre. Pas contre Léo. Jamais, avec ce genre de choses. Mes mains se lèvent par instinct pour attraper ce qui m'empêche de respirer. Mais elles ne se referment que sur du vide. Mes lèvres cherchent l'air. Et puis soudain, tout s'arrête. Léo me libère de son entrave. Il cède sous le poids de ses chaînes alors que je retombe au sol. J'accuse durement le choc. Une flopée d'étoiles multicolores flotte devant mes yeux tandis que je tousse. La voix de Léo s'élève, faible et écorchée. Je prends rudement sur moi pour me relever avant d'avoir retrouvé ma respiration. Je me hâte de le rejoindre. Il est couvert de sang. Une multitude de blessure recouvre son corps. Parfois purement physique, parfois magique. La rage gronde dans mon ventre. Mais c'est l'urgence de la situation qui guitde désormais mes gestes. Je m'empresse de défaire les liens ensorcelés qui le retiennent. L'acier cogne contre le béton brut du sol dans un vacarme désagréable. Ils n'y sont pas allés de main morte. À quoi pensait Zayn ? Voulait-il simplement envoyer ses hommes au casse-pipe en s'en prenant à Léo ? Ou son arrogance a-t-elle plutôt entraîné ce genre de folie mortuaire ?

Mon mari s'écroule par terre lorsque les chaines ne le retiennent plus. Un désagréable pressentiment me hérisse l'échine. Quoi ? Le patron est déjà là ? Sans perdre plus de temps, j'attrape Léo par les épaules dans l'optique de le redresser. Il faut se barrer de là. Vite.

- C'est pas le moment de t'endormir. Va falloir que tu me donnes un petit coup de main, Reece, je marmone entre mes lèvres en tentant de soulever sa masse inerte.

Les chaines disparaissent. Je les sens glisser le long de mes plaies pour finir par s'écraser au sol. Mon corps trouve enfin un peu de repos. Le béton est froid. Ça me fait du bien. Ça réveille un peu mon être qui menace de rester là. Mes paupières se rouvrent sur le visage d'Eze. Il est si proche à présent. Il me touche, me serre, tente de me soulever sous les grognements qui sortent de ma bouche. Qu'est-ce qu'il fou là au juste ? Pourquoi ? Comment ? Les questions sautent d'elles-même de mon esprit. L'urgence dans la voix de mon mari est palpable. Quelque chose approche. Quelque chose d'assez effrayant pour que mon époux ne perde pas de temps à tenter de parlementer. Il faut sortir d'ici. Vite.

Mon corps est trop endoloris. Je tiens à peine sur mes jambes. Ma prise se referme sur le corps de mon époux qui me soulève comme il le peu, jusqu'à ce que je reprenne un peu plus conscience de ce qui se passe. Mon pouvoir s'éveille à nouveau. Il me soulève du sol, me maintient debout, accroché à la carrure de mon ancien amant. Peu importe ce qui approchera de nous, il mourra avant même d'avoir pu approcher.

« Qu'est-ce que tu fous là ? »

Ma voix est éraillée, exténuée. Je tousse du sang, pour tenter de reprendre un peu contenance. Eze avance, il me guide à travers les cadavres qui se sont amoncellés autour de moi. Il connait les lieux. Il sait où est la sortie. Une partie de moi grogne à l'idée même qu'il soit en train de m'aider. De littéralement me sauver, mais je n'ai pas l'énergie de le repousser. Pas encore du moins.

Léo se maintient à flot comme il le peut. Je serre les dents et le soutiens autant que possible. Je l'entraîne déjà vers la sortie. Il n'y a qu'une porte. Si nous restons ici, nous serons piégés comme des rats. Il parle alors que je me demmerde tant bien que mal pour pousser la porte sans le lâcher. Sa question me fait rouler des yeux. Est-ce que c'est vraiment le moment pour ce genre d'interrogatoire ?

- Je te sauve la vie, je grommelle en chancelant maladroitement dans le couloir.

Mon épaule trouve appuie contre le mur. Dans les secondes suivantes, des pas se font entendre. L'homme qui surgit est seul. A l'expression qu'il affiche, je comprends que ce n'est pas un sbire de Zayn, mais simplement un type attiré par le vacarme. Mon flingue lui explose la cervelle avant qu'il n'est le temps d'ouvrir la bouche pour satisfaire sa curiosité. Encore un au mauvais endroit au mauvais moment. Ils commencent vraiment à tous me faire chier. Je réhausse ma prise sur Léo avant de nous donner une nouvelle impulsion pour quitter les sous-sols.

- T'es chez Zayn, Léo. T'étais pas au courant ?

Ça ne serait pas improbable. Je ne suis pas certains que les types qui l'ont interrogés aient trouvé opportun de lui filer cette information. Dans l'hypothèse où ils en aient eu le temps, évidemment.

- Fais en sorte de tenir le coup jusqu'à ma voiture, je souffle en scrutant les environs.

Quelque chose me dit qu'on ne se volatilisera pas d'ici aussi facilement.

Je te sauve la vie. Cette phrase à une résonnance toute particulière à mon oreille. Eze qui me sauve, ça me fait l'effet d'une baffe. Je n'ai pas besoin de lui. Je n'ai plus besoin de lui. Pourquoi est-ce qu'il ne me laisse tout simplement pas crever ici, plutôt que de me tirer avec lui en dehors de cet enfer ? Ça réglerait pas mal de ses problèmes après tout, non ? Je grogne en tentant de me dégager un peu de sa prise qui me retient fermement, mais je suis trop faible pour ça. Nous avançons. Lentement mais sûrement. Un pauvre gars se présente sur notre chemin. Mon pouvoir n'a pas le temps de l'atteindre, Eze lui a déjà foutu une balle dans la tête. Il tombe raide mort. Inutile de s'attarder.

Chez Zayn. C'est donc ça. C'est pour ça que je suis ici, pour cet immonde fils de pute. Un rictus de dégoût se forme sur mes lippes. Non, évidemment que je n'étais pas au courant. Zayn m'a kidnappé et enfermé ici, pour tenter de m'arracher les précieuses informations qu'il voulait. Cette simple vérité fait gonfler mon pouvoir. Elle me redonne en semblant d'énergie. Je me redresse un peu, forçant mon amant à stopper notre course folle. 

« Attends. Attends... »

Je le force à me relâcher. Mon pouvoir me tiens debout par miracle. Mon dos échoue contre le mur en béton. Je peine à trouver mon souffle. Il faut que je me soigne, avant d'aller plus loin.

« J'y arriverais pas comme ça. »

Mon esprit est enbrouillé. Je la connais, cette foutue formule. Celle que j'ai appris, il y a bien longtemps, pour gagner un peu d'énergie. Et j'ai besoin de lui pour ça, même si ça me révulse. Mes iris le trouvent maladroitement.

« Donne moi ta main. »

Je lui offre la mienne. Celle qui porte notre alliance. Avec un peu de chance, ça fonctionnera. J'attends qu'il l'attrape pour serrer sa paume. Mes paupières se referment. Mes lèvres se mettent en mouvement, prononçant à peine le sortilège qui crépite dans ma tête. La magie s'agite dans nos mains. Elle fourmille le long de ma peau pour se faufiler dans le reste de mon être tel un shot d'adrénaline. La sensation est grisante. Elle éclaire mon esprit qui s'éveille enfin à nouveau. Mes yeux se rouvrent en un coup. Un frisson m'ébranle. Ok. Maintenant, on peut y aller.

« Ok... Go. »

Je relâche sa main sans attendre. Mon dos se décolle du mur. Ça ne durera pas longtemps, mais ça suffira, le temps qu'on sorte d'ici. J'espère.

Je lui lance un regard suspicieux lorsqu'il réclame ma main, mais je la lui concède sans l'ombre d'une hésitation. Les lèvres craquelées de Léo s'agitent. Il récite une incantation et puise directement dans ma propre magie pour alimenter son sort. La sensation est désagréable, d'autant lorsqu'elle me prend de court de la sorte. Néanmoins je ne bronche pas et le laisse faire jusqu'au bout. Je ne suis pas certain des conséquences, étant donné la nature mortifère de ma magie. Mais s'il a besoin de ça pour tenir jusqu'à la voiture, alors qu'il en soit ainsi.

Le tueur à gages quitte finalement le mur en lâchant ma main. Il entreprend d'avancer sans mon aide. Si ça m'irrite de le voir à ce point repousser tout ce qui vient de moi, en revanche je suis soulagé de constater que ça nous fera gagner un précieux temps. Mes doigts se referment tout de même autour de son bras pour l'entraîner à ma suite. Je reste plus vif et alerte que lui, malgré son shoot d'énergie.

- C'est par là.

Une nouvelle porte s'ouvre devant nous. Les escaliers se dévoilent sur notre chemin. Je marque l'arrêt, horrifié par ce nouvel obstacle auquel je n'avais pas pensé.

- N'essaye même pas de protester, je gronde alors en hissant son bras par-dessus mes épaules et derrière ma nuque.

Je ne lui laisse pas réellement le choix, ni le temps de râler. Mes jambes s'animent déjà pour le hisser jusqu'au sommet. Le parking est juste là, en haut de ces marches interminables. Je suis à bout de souffle lorsque nous atteignons enfin le palier suivant. Une pellicule de sueur recouvre mon front. Je meurs de chaud à cause de l'effort, et l'adrénaline qui pulse dans mon sang ne fait qu'accentuer les choses. Et comme si ça ne suffisait pas, le contrecoup de mon petit massacre de tout à l'heure me revient en pleine face. Plus j'anéantis des vies, et plus ça me bouffe en carburant, évidemment.

Ma paume s'abat sur la porte menant au parking sous-terrain. À l'instant où je l'ouvre, des éclats de voix jaillissent entre les voitures. Merde. Merde, merde, merde. Les coups de feu explosent sans attendre. Une douleur lancinante éclate dans ma chair alors que je rebrousse précipitamment chemin. J'ai lâché Léo. Mon dos cogne contre un mur. Putain. Ils sont là. Zayn nous a retrouvé. Ses petits cabots bien dressés grognent pour nous mener la traque. Sous mon souffle chaotique, j'avise la tâche sombre qui grandit juste au-dessus de ma hanche gauche. Je suis touché. La balle est ressortie. Cette pute n'est plus là et semble heureusement n'avoir rien touché de vital.

- Est-ce que t'es capable de nous couvrir jusqu'à la voiture ? je demande en tirant tout de même mon arme de l'arrière de ma ceinture. Il faut que je sois sûr d'avoir suffisamment d'énergie pour conduire. Je ne pourrai pas tous les anéantir.

Eze me tire à sa suite. L'énergie que je lui ai soutiré m'a ranimée. Elle gorge mon pouvoir et la totalité de mon être. Nous n'avons pas beaucoup de temps. Des escaliers nous barre bientôt la route. Ma respiration saccadée peine encore à se rétablir alors que j'avise la hauteur qui nous attends. Je suis déjà prêt à m'élancer avant que mon mari ne m'arrête. Je le laisse m'attraper, m'offrir une aide précieuse le temps de gravir les marches, refoulant la fierté tenace qui me siffle que je n'avais pas besoin d'aide. Il n'est pas temps pour se genre de pensée. Nous passons la porte du parking avec fracas. Mon attention tombe sur les silhouettes au loin qui commencent à nous canarder. La panique me prends aux tripes alors que notre course s'arrête en un instant. Eze me lâche. Je m'écrase presque au sol sous les balles qui nous canarde, mon pouvoir me retenant par miracle. Eze est touché. Mes iris se plantent sur la plaie dégoulinante qui tache sa chemise. Ça se répend sur lui telle une trainée de poudre. Putain, il est touché ! Mon sang ne fait d'un tour. Je me relève précipitament pour approcher, au moment même où il me questionne. Si j'en suis capable ? Oh que oui.

« Je m'en charge. Viens, faut pas rester là. »

Les tirs fusent à nouveau. C'est à moi de le tenir, alors que d'un regard, j'avise les sbires de Zayn qui s'approchent dangereusement. Un réflexe m'anime. Mon pouvoir file, il fend l'air derrière nous pour s'engouffrer contre une voiture, qui part violemment s'écraser sur nos assaillants. Les cris explosent dans la manoeuvre. La portière d'un autre véhicule se décroche sous ma prise, pour léviter dans notre dos, essuyant les tirs qui reprennent de plus belle. La voiture est proche. Elle n'est qu'à quelques mètres. Ma course s'accélère. J'oublie mon souffle qui peine à suivre la cadence. L'énergie qui me fait dangereusement vasciller. La sueur à envahi mon front. On y est presque.

D'autres ennemis apparaissent sur notre route. Ça ne m'arrête pas. Leurs corps se décomposent sous ma volonté. Le sang jailli de leur corps à l'agonie avant même qu'ils aient eu le temps de le réaliser. La voiture, enfin. J'envoie notre bouclier s'écraser contre les fils de pute qui nous suivent encore au moment de relâcher Eze. Je prends place à ses côtés, veillant à notre sécurité le temps qu'il démarre. Dépêche toi Eze. Il faut qu'on sorte d'ici. Tout de suite !

Je serre les dents alors que mon dos rencontre le siège conducteur de ma voiture. Mes doigts restent crispés sur la plaie qui me cisaille l'abdomen. De l'autre main, j'abandonne mon flingue sur le tableau de bord et chercher frénétiquement mes clés dans la poche de ma veste. La défense de Léo nous aura sauvé jusque là. Un tel éclat de force a provoqué la surprise chez nos aissaillants. Ils essuient leur perte et remettent leur idée en place avant de revenir à l'attaque. Mais d'ici là, il faut qu'on ait disparu.

Je suis obligé de lâcher la blessure pour démarrer le moteur. Ma paume est imbibée de sang lorsque je la retire. Putain de saloperie. La voiture hurle sur mon pied qui écrase brusquement la pédale d'accélérateur. Le véhicule fait un bond en avant. Une silhouette apparaît furtivement sur notre route. L'homme lève son arme. Je passe une vitesse et le percute sans même ralentir. Son corps passe par-dessus la voiture dans un vacarme sourd. Ma tête part s'appuyer douloureusement contre l'appui-tête.

- Putain, à tous les coups ce con a ruiné ma carrosserie ...

Mes reflèxes prennent le relais pour la suite. La voiture fuse à toute allure dans le parking, droit vers la sortie qui est censée nous remonter à la surface. Une série de balles et de sorts éclate autour du véhicule. Je reste focalisé sur ma conduite. Les amortisseurs protestent vivement lorsque nous passons sur le ralentisseur précédent la rampe de sortie. Ma prise braque spontanément le volant. Les pneus crissent une dernière fois. Et la lumière du jour jaillit brusquement.

L'ambiance de Galway contraste trop vivement avec tout ce que je viens de vivre. Il me faut prendre rudement sur moi pour que je nous glisse discrètement dans la circulation citadine. Le sang bat à tout rompre contre mes tempes. Mes yeux guettent furtivement dans les rétro-viseurs. Maintenant, c'est à moi d'assurer. Léo a certainement usé ses dernières ressources pour nous permettre d'atteindre la voiture.

Alors, je me fais violence pour ignorer la douleur de mon flanc gauche. Une fois assuré qu'aucun bolide ne s'est lancé à nos trousses, je tire tant bien que mal mon téléphone de la poche de mon pantalon. Plusieurs messages de Milo s'affichent sur l'écran. Dans le premier, il s'indigne de mon ordre qu'il ne comprend pas et proteste en affirmant qu'il est en cours. Dans le second, il m'informe qu'il a trouvé une excuse pour partir et qu'il est en route. Un soupir soulagé m'échappe. Il sera là avant nous. S'il a quitté l'école à temps, alors rien ne devrait lui arriver.

- Comment t'as fait pour te retrouver dans cette merde ? je marmonne en passant mes doigts sur mon visage, alors que la tension quitte peu à peu mes épaules.

C'est un foutu miracle si le monde est encore en vie. Mais pour combien de temps ?

La lumière de Galway m'aveugle un instant. Mon bras se lève par automatisme pour protéger mes iris durant une fraction de seconde. Lorsque je retrouve la vue, Eze nous a ramenés au calme, dans la circulation dense de la ville. Mon coeur bat encore à tout rompre dans ma poitrine. On a réussi bon sang. Enfin, pour le moment. Mes yeux se plantent derrière nous, comme pour vérifier qu'il ne nous suivent pas. Ce n'est qu'une fois certain qu'il n'y a plus de danger pour le moment que ma tête trouve repos contre l'appui-tête. Un soupir de soulagement m'échappe à travers ma respiration chaotique. La tension présente dans mon corps se relâche enfin. Putain, cette fois j'ai vraiment cru que c'était la fin.

La fatigue habite chaque parcelle de mon corps. Mais il n'est pas temps de se reposer. Pas encore. Pas alors que mon époux pisse le sang à côté de moi. Pourtant, il maintient sa conduite, serre les dents pour contenir la douleur qui doit fusiller son flanc. Je fixe sa plaie qui recommence à suinter. Il ne va pas tenir le coup longtemps à ce rythme.

« Appuie sur ta plaie. Je m'occupe du volant. Manquerait plus que tu claques maintenant. »

Mon regard est sans appel. Ma paume ensanglantée prend place sur le cuir. Je n'ai peut-être plus assez d'énergie pour user de mon pouvoir, mais ça, je peux encore le faire. Ses lèvres bougent. Elles me questionne tandis que je fais de mon mieux pour rester concentré.

« A cause d'un contrat. Je devais retrouver un objet magique. Une relique d'une grande puissance, que j'ai été chargé de cacher, là où personne ne pourrait jamais la trouver. Les hommes de Zayn m'ont tendu un piège. C'est ça, qu'ils voulaient. Ils voulaient savoir où est-ce qu'elle se trouve. »

C'est comme ça, que je me suis retrouvé dans cette merde. Je le savais pourtant, lorsque j'avais accepté ce contrat, que je risquais ma vie pour cela. Mais je n'aurais jamais imaginé que le premier connard qui viendrait chercher l'info aurait été ce sale rat de Zayn.

« Où est-ce qu'on va ? »

Mes yeux l'accrochent une brève seconde. Il faut qu'on trouve un endroit sûr, pour pouvoir soigner nos plaies. J'oublie nos querelles habituelles et même le simple fait de ne plus supporter sa présence, pour des besoins bien plus urgents. Je refuse qu'il crève. Pas maintenant. Pas comme ça. Je suis le seul a avoir le droit de le tuer, si un jour l'envie m'en prend. C'est uniquement par ma main qu'il ira brûler en enfer.

« Donne moi ton téléphone. Il faut que j'appelle Jade.»

J'attends qu'il s'exécute. Il faut que je m'assure qu'elle aille bien. Il faut que je sois certain qu'elle soit en sécurité. Je ne supporterais pas qu'il lui arrive malheur par ma faute.

Léo tend le bras pour soutenir le volant. Je serre un peu plus les dents, plus par fierté que par réelle douleur cette fois. Mais je m'exécute, gardant tout de même une main sur la direction de la voiture.

- Tu plaisantes ? T'as vu ta gueule ? je m'esclaffe malgré tout. Ça, c'est une égratignure à côté de ce que t'as.

Je lui lance un regard critique. Combien de temps ils l'ont retenu là-dedans au juste ? Une chose est sûre, il n'aurait pas tenu éternellement dans cette position. Il est vraiment dans un sale état. Pour autant, il parvient encore à répondre à mes questions et à satisfaire ma curiosité. Une relique. C'est donc ça le but de toute cette merde ? Un soupir m'échappe. Il n'y a aucune limite aux ambitions de Zayn. Ce rat me fait penser au roi des vampires, pour le peu que j'ai entendu sur la réputation de ce monstre sanguinaire. Rien ne semble pouvoir le satisfaire. Il lui faut plus, toujours plus.

- On va chez moi, je réponds d'un ton ferme. Milo doit déjà nous y attendre.

J'accepte finalement de lâcher totalement le volant le temps de lui abandonner mon téléphone. Le temps que Léo passe son coup de fil, nous serons probablement arrivé de toute façon. La circulation n'est pas trop dense, c'est encore une chance.

- Il n'y a pas de raison que Zayn s'en prenne à elle, je le rassure en me penchant sur la question. Il est bien plus subtil que ça dans ses stratagèmes.

Et une fois de plus, je ne peux m'empêcher de repenser à ce noeud inextricable qu'il a refermé autour de mon fils. Oh ça oui, on ne peut pas reprocher à Zayn son manque d'originalité. Il n'aime pas la simplicité. Lorsqu'il agit, personne ne le voit venir.

La répartie de mon mari me coule dessus. Elle ne m'atteint même pas. Pour le moment, le sort que j'ai utilisé stagne doucement le long de mon être. Il fusille la douleur, pour me permettre d'être lucide. Je sais que lorsqu'il ne fera plus effet, tout me reviendra en pleine gueule en un coup. Et là, il voudrait mieux que l'on soit déjà à l'abri. Eze ne fait aucun commentaire sur mon récit. Il m'indique en revanche notre destination. Chez lui. Eze m'emmène chez lui. Mon esprit bute un instant sur cette information, avant que le nom de Milo chasse cette désagréable impression. Je me contente de hocher la tête, avant qu'il ne me cède finalement son téléphone. Mes doigts composent rapidement le numéro de ma filleule. Le portable fini vissé contre mon oreille. Pourvu qu'il ne lui soit rien arrivé. J'espère que Zayn n'est pas assez stupide que pour avoir eu l'idée de s'en prendre à elle alors qu'il me retenait prisonnier.

Deux sonneries interminables menace de venir à bout de ma patience. Et enfin, elle décroche. Le soulagement se grave dans mes épaules qui s'affaissent s'emblées. Elle n'a rien. Heureusement. Je lui ordonne de se mettre en sécurité, dans l'une des planques que j'ai aménagé récemment. Juste au cas où. Ne pas rentrer à la maison, c'est trop dangereux. Même si je ne doute pas une seconde des capacités de la jeune femme à se débarasser de potentiels assaillants. Je raccroche à l'instant même où Eze me fait part de ses réflexions. Je lui renvoie un regard sceptique, avant de balancer le téléphone sur le tableau de bord.

« Avec ce fils de pute, je m'attends à tout. Je ne me le pardonnais jamais, si il lui arrivait quoi que ce soit. »

Même si ce n'est pas ma fille, si aucun lien du sang ne noue relie. Elle est la prunelle de mes yeux. La seule raison pour laquelle je pourrais encore m'en prendre à Zayn, si il me provoque encore. Il faut se méfier de l'eau qui dort. Zayn ne sait pas à quel point je suis taré. Pour elle, je me ferais un malin plaisir à le tuer de la manière la plus atroce qui soit. Pour avoir détruit ma famille, aussi. Si seulement Eze avait fait le bon choix.

La voiture se gare. Nous sommes arrivés. Mes yeux scrutent rapidement les alentours, juste au cas où, avant que je n'ouvre la portière pour m'extirper du véhicule. La carrosserie est morte. Des traces de balles et d'hémoglobine la recouvre en un tableau violent. Je me demande franchement comment est-ce qu'on a fait pour ne pas se faire arrêter par les flics. Mon attention retombe sur mon époux. Je fronce les sourcils en observant la douleur de ses traits. Mon instinct me guide d'emblée jusqu'à lui, pour l'aider tant que je le peux encore. A l'aide de nos dernières forces, nous pénétrons dans l'immeuble. L'ascenseur nous accueille comme une douce étreinte. Je m'écroule presque contre l'une des parois, à bout de souffle.

« Dis moi que tu as des potions chez toi... » soufflais-je entre mes dents serrées.

Pour nous remettre l'aplomb, l'un comme l'autre. Nous devons franchement être tristes à voir, avec nos gueules amochées. Le tintement de l'étage retentit. Mon corps se décolle du mur pour le rejoindre une dernière fois. Nous nous engonfrons en titubant dans l'appartement. La porte claque contre le mur. On a réussi.

L'ascenseur me permet de reprendre mon souffle et de recentrer mes idées. Une fois que nous serons dans l'appartemet et lorsque j'aurai la certitude que Milo est bien rentré, nous serons en sécurité. Personne ne viendra nous attaquer ici. Le quartier est trop exposé, et surtout, il est directement placé sous le joug d'Erell. Zayn n'est pas assez fou pour se mettre la grande prêtresse à dos. Et par ailleurs, si l'envie lui venait quand même de nous envoyer quelques hommes discrètement, nous serons barricadés et prêts à les accueillir d'ici là.

- Evidemment.

Je hoche la tête en réponse à la question de Léo. Les potions sont bien trop précieuses pour que je me permette le luxe de ne pas en avoir constamment sous la main. L'ascenseur se stabilise. Les portes s'ouvrent. Nous n'avons plus que quelques mètres à franchir pour atteindre mon appartement. Un large soupir me soulève le torse lorsque nous pénétrons enfin à l'intérieur. Bon sang j'ai bien cru que nous n'y arriverons jamais.

Du mouvement répond au remu-ménage que nous provoquons en nous enfermant chez moi. La tête de Milo ne tarde pas à apparaître. A ses yeux, je comprends qu'une foule de questions se bouscule déjà dans son esprit. On doit faire peur à voir.

- Papa ?
- Plus tard, Milo. Pour le moment, je veux que tu scelles la porte.

La magie de mon fils fera l'affaire pour le moment. Je ne m'attarde pas et entraîne Léo en direction de ma chambre. Nous devons certainement coller du sang partout sur le trajet. La situation doit être suffisamment impressionnante pour que Milo en comprenne l'importance et s'exécute sans chercher à discuter. Une fois n'est pas coutume. Je laisse Léo tomber sur le lit avant d'essuyer la sueur qui innonde mon front.

- Où est-ce que tu as mal ? Quels sorts ont-ils utilisés sur toi ?

Je réfléchis déjà aux potions susceptibles de faire l'affaire. Ce faisant, je recule m'appuyer contre le mur et me débarasse de ma veste. Celle-ci atterri par terre alors que je déchire ma chemise imbibée de rouge.

- Putain, faut que je fasse coaguler cette merde ...

Mon fils réapparaît dans l'encadré de la porte.

- Va me chercher de quoi soigner ça, je lui demande en serrant les dents pour accuser la douleur.
- Papa, qu'est-ce qui s'est passé ?
- Milo ...

Mon ton gronde de lassitude. Ce n'est pas le moment. Vraiment pas le moment. L'adolescent fronce les sourcils. L'inquiétude le ronge, et mon manque d'explications l'irrite. C'est bien normal ; il ne doit pas comprendre grand chose à ce qui se passe, quand bien même il connaît les risques de mes activités fort peu catholiques. Il s'exécute malgré tout, sans un mot. J'en suis soulagé. Je vais avoir besoin de compter sur lui durant les prochaines heures. La première étape est de me soigner. Il y aura ensuite tout le reste à gérer.

Enfin, nous y sommes. Nous rentrons avec fracas dans le logis de mon époux. Je regarde à peine ce qui nous entoure alors que nous traversons l'appartement. Il n'y a que le regard remplit d'inquiétude de Milo que je croise avant que nous pénètrions dans la chambre. Il tente de rapidement questionner son père, mais celui-ci est trop sonné par l'urgence de la situation pour y répondre maintenant. Pas maintenant. Alors, il exécute ses ordres, tandis qu'Eze me relâche enfin sur le lit. Le sort que je me suis infligé pour qu'on sorte de là s'évade lentement de mon être. La douleur inscrite dans mon corps reprend doucement du service. Les marques dûes aux chaines magiques recommencent à brûler ma peau, à l'instant même où Eze me demande quels sorts est-ce qu'ils ont utilisés. J'encaisse maladroitement les reflus de douleur qui pénètrent mon être, serrant les dents pour leur résister.

« Partout. Absolument partout. »

Mes paupières se ferment tout comme mes poings. Je peine a réfléchir. A me souvenir de tout ce que j'ai subit.

« Feu, électricité. Un sort de sang, aussi. Brûlure. Putain. »

Mes poings se serrent au point de faire blanchir mes jointures. J'halète en tentant de ne pas céder sous le poid de la souffrance qui refait surface. Putain, ils m'ont vraiment pas loupés.

« Occupe toi de ta plaie. Dis moi où sont tes potions.... Je vais... me démerder. »

Je suffoque. Mon regard se fixe sur Eze au moment même où Milo débarque dans la pièce avec tout le matériel pour le soigner. Il est mal, l'hémoragie n'est pas encore enrayée. Je veux l'aider, je peux recoudre sa plaie. A condition que me shooter aux potions. Milo porte un regard paniqué sur son père. Il ne sait pas quoi faire, comment agir. Ma tête retombe lourdement contre le matelas.

« Milo... Les potions. Dépêche toi. Il faut que j'aide ton père. »

Un pic de douleur tend mon corps en un coup. Mes muscles se contractent brusquement sous mon agonie. Ma tête me tourne. J'ai horriblement chaud et pourtant, mon corps n'en peux plus de frissonner. Dépêche toi. Je t'en supplie.

Le sortilège de Léo se dissipe. Le contre-coup de la magie lui renvient en pleine gueule, accentuant plus encore ses blessures. Sa souffance crépite dans l'espace. Je la sens me frôler tout autant que je devine son âme se tordre sous les élancements répétés des plaies toutes natures confondues. Il grogne, il sert les dents. Il se recroqueville sur lui-même. Mais rien ne semble y faire. Alors lorsqu'il parle de se débrouiller seul, je ne peux m'empêcher de gronder en retour.

- Ne dis pas n'importe quoi, je siffle, peu désireux de le voir s'agiter alors que son rôle consiste désormais à préserver le peu d'énergie qui lui reste. Je t'interdis de bouger de ce lit, tu m'entends ?

Je lui lance un regard sombre sans bouger de ma place. Mes doigts restent crispés autour de la plaie qui me déchire le flanc, pour retenir le sang au maximum. Milo réapparaît bientôt. Ses bras sont chargés des sacs et des caisses où sont stockées les potions. Mon fils dépose le tout à la hâte sur la commode juste à côté de moi. La situation le chamboule au plus haut point. Une panique effrayée pulse dans ses yeux. Il est complètement perdu. Et c'est pire encore lorsque Léo lui demande de lui donner les potions. Mes yeux captent les siens au moment où je crois véritablement le perdre pour une crise d'anxiété. Je lui adresse un sourire rassurant.

- Ca va aller, Milo.

Je me décolle du mur pour avancer d'un pas dans sa direction. Ma main presse doucement son avant-bras dans un geste de réconfort. Ce faisant, j'en profite également pour lui faire lâcher le sac de potion. Une fois fait, je m'occupe moi-même de fouiller dans le tas de fioles pour en balancer une en direction de Léo, le laissant l'attraper au vol.

- Commence par avaler ça. Ça devrait calmer la douleur, j'explique dans un souffle grinçant.

Ma main pleine de sang continue de fouiller sans douceur parmis les bouteilles. Un soupir m'échappe lorsque je trouve enfin ce que je souhaite. Mon corps retourne s'écraser contre le mur. La potion que j'ai trouvé va permettre à la plaie de coaguler. Je me défais rapidement de ma chemise et imbibe rapidement la blessure à l'aide de la mixture. Ça coule et se mélange à grands flots avec le sang qui a coulé sur le parquet, mais à ce stade de la situation c'est clairement le dernier de mes soucis.

- Je vais avoir besoin de toi, Milo.

Je lui souris de nouveau, me démenant comme je le peux pour l'empêcher de paniquer. Mes doigts fouillent tant bien que mal dans la trousse de secours qu'il a ramené avec le reste.

- Regarde bien ce que je vais faire, je marmonne entre mes dents serrées en entreprenant dès lors de me recoudre la chair à vif. Il faudra que tu fasse la même chose de l'autre côté.

Impossible de m'occuper moi-même de la sortie de la balle. Aussitôt, mon fils freine des quatre fers. Il devient livide, au point où je crains sincèrement de le voir tourner de l'oeil.

- A-arrête tes conneries, papa. Il faut appeler les urgences, putain !
- Si on finit à l'hosto, on est mort, je tranche brutalement.
- Peut-être qu'un sort ...
- Personne dans ce foutu appartement n'a d'affinité avec la magie susceptible de resouder cette plaie.
- Je ... je peux essayer ...

Le regard suppliant de Milo me happe alors que je me redresse. Je soupire avant de passer des doigts tremblants sur mes paupières lourdes. Est-ce que j'ai vraiment le choix ?

- D'accord.

Je le laisse approcher et poser maladroitement ses paumes glacées sur la peau brûlante autour de la balafre. Ce faisant, je tire la caisse de potions jusqu'à moi pour y chercher de quoi me remettre un minimum d'aplomb. La magie de Milo m'effleure. C'est bancal et incertain.

- Arrête de bouger !

Les chairs se referment plus ou moins bien alors que les incantations filent à toutes allures entre les lèvres de l'adolescent. Une chose est sûre, ça ne sera que temporaire. J'aurais tout intérêt à faire consolider ces soins auprès d'un sorcier plus aguérri. Mais pour l'heure, ça fera l'affaire.

- Merci, je glisse à son encontre. Est-ce que ... est-ce que tu peux aller vérifier que personne ne rode de l'autre côté de la porte ?

Une foule de questions s'accumule sur les lèvres du garçon. Mais il finit par acquiscer, un tant quoi peu rassuré maintenant que j'ai cessé de me vider de mon sang contre le mur. Il disparaît hors de la chambre, et je fais refermer la porte dans son sillage. J'inspire longuement, une fois ma potion avalée, avant de quitter mon appui et de m'approcher de Léo.

- Laisse-moi voir, je demande d'un murmure inquiet, laissant mon regard trainer sur son corps meurtri. Un sort de sang, ça nécessite au moins de la magie noire. Je peux peut-être le retirer ...

Mais pour ça, il faudrait déjà qu'il me laisse l'aider.

Sans surprise, Ezekiel ne tarde pas à me grogner dessus. Je n'ai pas la force de riposter. Pas alors que les sorts se réveillent vivement dans mon être. Je les sens. Ils se déplacent, serpentent à travers mon corps qui agonise au milieu des draps. Je fini par fermer les paupières, serrant les poings sur la literie en combattant comme je le peux encore cette magie qui cherche un point d'accroche. Telle une bête, elle chasse, elle se déploie dans mon corps, le long de mes muscles pour gagner ma tête. Les murmures l'envahissent, les voix de ceux que l'on aimerait ne jamais entendre. Les hurlements de toutes les victimes d'une vie entière. Je nage dans un océan noir, loin des voix presque effacées de ceux qui m'entoure dans la pièce. La voix d'Ezekiel parvient à peine à m'atteindre. Son intention, en revanche, semble assez forte pour percer l'épais brouillard dans lequel je me suis enlisé. Mes paupières s'ouvrent sur la potion qu'il m'a balancé. Je ne réfléchis pas un quart de seconde avant de me jeter dessus et de la vider, priant pour que cela soit suffisant pour le moment.

Mon corps retombe comme une masse sur le matelas. Mon attention peine à se focaliser sur ce qui m'entoure. Je tente pourtant de m'y accrocher, le temps que la potion agisse. Que la douleur diffuse dans mon corps se calme un peu. Pour pouvoir me laisser respirer. L'échange qui se forme entre mon mari et son fils me semble irréel. Je fronce les sourcils sur les paumes de Milo qui soignent son pauvre père. Ça fonctionne. C'est bancal, mais ça fonctionne. Mes paupières se referment d'elle-même sur la fin de l'échange. La souffrance diminue, lentement. Elle se replie, cesse d'attaquer mes os comme des liannes ne désirant que ma mort. Ezekiel réapparait. Sa voix me fait rouvrir à nouveau les yeux. Un frisson me parcourt tandis que je retrouve son regard. Un sourire fade m'anime. Il a raison.

« Il n'y a pas que ça... »

Mes doigts se referment à nouveau durement sur les draps. Si mon corps commence à être apaisé, il n'en est pas de même pour ma tête.

« C'est dans ma tête Eze. Je l'entends. Je les entends. Je... Retire le. Retire tout. »

Avant que ça me rende complètement cinglé. Peu importe le prix à payer. Nous savons, l'un comme l'autre, ce qu'il en coûte de tenter d'anihiler ce genre de pouvoirs. Le regard suppliant que je renvoie à mon ancien amant se veut ferme. Qu'il le fasse, qu'on en finisse.

Dire que Léo est en train de souffrir est un euphémisme. Je vois son corps se tordre sous mes yeux pour essayer d'atteindre quelque chose d'insaisissable sous sa boîte cranienne. Les mots qui s'extraient difficilement de ses lèvres serrées m'apportent leur nouveau lot d'informations. Et ce que j'entends ne me plaît pas. Mon visage se durcit alors que je prends mesure de l'ampleur des dégats.

- Qu'est-ce que tu entends ?

J'ignore exactement de quoi il en retourne. De quel sortilège exactement il s'agit. Une seule chose est sûre, il y a quelque chose dans sa tête qui est en train de lui grignoter l'esprit, comme un parasite vorace et mortel. Si j'interviens, je risquerais de tout faire écrouler. Ce genre de magie est complexe, très complexe. Un geste de travers pourrait le rendre complètement fou au mieux, le tuer au pire. Mais je n'ai de toute façon pas vraiment le choix. Il faut annihiler ce qui le ronge de l'intérieur avant que ça n'atteigne un point de non retour.

- Ca va être très douloureux.

Je lâche mon avertissement dans un coup de vent. Mes jambes m'ont déjà guidé jusqu'à la commode. J'ouvre un tiroir et fouille en vrac à l'intérieur. Mon choix s'arrête finalement sur deux cravates. Ça fera l'affaire.

- Je vais le retirer, Léo. Mais tu vas devoir me faire entièrement confiance.

Je le rejoins d'un pas incertain, forçant sur mes forces physiques pour ne pas me laisser envahir par les conséquences de ma blessure par balle. Ma poigne s'enroule fermement autour de l'un de ses bras. Je le force à lâcher sa tête pour lier son poignet à la tête de lit avec l'une des cravattes. Je réitère le même manège avec son deuxième bras. Ça l'empêchera de trop bouger.

- Il va falloir me laisser entrer dans ta tête, j'explique en m'asseyant au-dessus de lui. Et je sais que tu vas résister. Je ne vais pas avoir d'autre choix que de forcer le passage. Je ... Je suis désolé d'avance.

Je retire la ceinture autour de mon pantalon pour glisser le cuir entre ses dents. Mes doigts saisissent alors un petit couteau camouflé contre ma cheville. Sans l'ombre d'une hésitation, je trace vivement une longue ligne sur l'intérieur de son avant-bras. La plaie se met aussitôt à saigner. Parfait. Ce qui est entré par le sang, doit ressortir par le sang.

Mes yeux se ferment alors. Puisant dans mes forces sombres, je me concentre en posant mes deux mains de part et d'autre de sa tête. Ma magie se déploie. Elle le frôle, tâte à la recherche d'une brèche. Ce rituel n'est pas dans mes habitudes. Arracher une vie aux mains de la mort est même à l'opposé de mes capacités. Et puis d'un coup, je sens l'ouverture. Je m'y infiltre sans attendre, ne lui laissant pas le temps de se refermer. Léo résiste alors que mes pouvoirs se frayent de force un passage dans son crâne. Il n'est pas en mesure de me stoper, pas avec le mal qui le ronge de l'intérieur. Je ne m'arrête pas. Je ne ralentis même pas. Je fouille, je creuse, je m'invite plus profondément encore en lui. Jusqu'à le trouver. Le parasite. Celui qui est en train de dévorer sa raison. Ma magie se referme sur lui. Il se débat. Il s'accroche. Je sens la sueur perler sur mon visage alors que mon énergie déjà rudement entamée vacille. Il lâche d'un coup. Il vient, comme une mauvaise herbe avec toutes ses racines. Il nous éjecte de l'esprit de Léo dans un sursaut brusque.

Je n'ai pas le temps de constater l'état de mon époux. Je n'ai pas le temps de vérifier s'il est encore en vie. Mon corps se jette sur le côté. Mes mains s'abattent sur le rebord du matelas juste à temps pour m'empêcher de rouler par terre. L'instant d'après, je rends mes trippes sur le parquet. La magie noire que j'ai absorbé s'échappe de mon être. Mon organisme se contracte vivement, brûlé par le souvenir de la présence néfaste de cette chose qu'on avait incrusté en Léo. Putain mais quelle journée de merde.

Je n'arrive plus à prononcer le moindre mot. Mes doigts rongent ma tête dans une recherche desespérée de faire sortir la chose qui est en train de me dévorer de l'intérieur. Je la sens évoluer en moi, se répartir et chercher la moindre parcelle de mon être qu'elle n'a pas encore pourri jusqu'au coeur. Toute l'énergie qu'il me restait ne me sert qu'à ça. Survivre, le temps que mon époux agisse. Résister, tant que cette saloperie me dévore corps et âme. J'entends à peine les mots d'Eze à travers le brouillard de plus en plus épais de cris et de murmures qui a pris place sur le reste. Il m'arrache à ma torpeur, m'attrape pour mieux me maintenir sous sa volonté. Mon regard le heurte alors que mon corps fait lui-même de la résistance. Eze s'installe au dessus de moi. Il parle, encore, bien que je sois devenu incapable de le comprendre, les excuses que je lis sur ses lèvres ne me rassure absolument pas. Je le laisse néanmoins agir, faire tout ce qu'il peut pour me sortir de là avant qu'il ne soit trop tard. Mes dents se referment brusquement sur le cuir qu'il présente à ma bouche. Mes yeux se ferment en miroir avec les siens, après s'être attardé sur l'entaille qu'il m'a fait au bras. Ça n'a aucune foutue importance, du moment qu'il enlève ce truc qui va me rendre dingue.

Mon corps se tord de lui-même sous l'intrusion de mon ancien amant. Je m'entends gémir à travers l'enfer dans lequel je suis enfermé. Je sens mon corps bouger, tenter de trouver une échappatoire alors que ma tête part en arrière sous la force de son acte. Mes yeux se rouvrent sur la douleur qui broie mon esprit. Les cris de douleur qu'il arrive à m'arracher perce à peine le cuir que je mords de plus en plus vivement. Un goût métalique envahit ma bouche. Je t'en prie Eze, je t'en supplie, arrête ça. Mes poignets tirent sur les liens qui m'empêche de m'enfuir. Je pense que jamais encore, je n'avait subit pareil tourments. Jusqu'à espérer mourir, pour que ça s'arrête.

Et puis, plus rien. Eze s'extirpe de mes pensées en un coup. Il me quitte, pour dégueuler toute sa magie à même le sol. Je retrouve mon souffle par miracle. Mon buste se soulève un grand coup alors que je crache le cuir qui me barre la bouche. Je n'ai pas le même luxe que lui. Les restes de ce qu'il a enlevé glissent en dehors de ma bouche alors que je suffoque et crache tout ce que je peux. Il a réussi bordel. Il m'a sauvé la vie. Mes paupières se ferment, accusant le choc et le soulagement de tout ce qui s'est produit. Bordel, je suis trop vieux pour ses conneries.

« Ça faisait longtemps qu'on s'était pas autant amusés, pas vrai ? »

Un rire amusé me secoue, contrastant beaucoup trop avec tout ce que nous avons vécu ses dernières heures. Ma toux reprend de plus belle, comme pour me faire payer mon rire alors que mes yeux se rouvrent sur Eze. Putain de journée.

« T'as raté ton coup on dirait. Je suis toujours vivant. » murmurais-je dans un sourire épuisé.

J'ai la tête qui tourne et accuse durement un nouvel élan de nausée. Je me redresse tant bien que mal en essuyant mes lèvres. La voix de Léo m'atteste qu'il est encore en vie. Sa remarque m'arrache un rire qui a le dont de rendre la situation tout de suite moins pesante. Le pire est passé de toute façon.

- Tu m'étonnes, je marmonne en m'asseyant au milieu du matelas.

Je glisse une main dans mes cheveux pour aider mon corps et mon esprit à se sortir de leur torpeur magique. Mon regard coule sur mon amant, toujours attaché au lit. Je n'esquisse pour autant aucun geste pour le libérer de ses entraves. Pour une fois que Léo est contraint de se tenir tranquille, je compte bien grapiller quelques instants de répit supplémentaires.

- Je rêve ou t'as gerbé dans mon lit ?

Je hausse un sourcil faussement offusqué. La litterie est déjà flinguée de toute manière. Il y a du sang partout.

- T'es encore vivant pour le moment, je corrige avec un rictus en coin. Où sont situées tes blessures corporelles ?

Mes doigts attrapent une cigarette dans la poche de mon pantalon qu'ils coincent entre mes lèvres. J'allume le tabac et savoure la première bouffée cancérigène qui m'empoisonne les poumons. Ça fait du bien, putain. Décidant alors que je me suis suffisamment reposé,  je me redresse dans sa direction pour partir moi-même à la recherche de ses plaies. Je fais sauter d'un simple geste les boutons de sa chemise pour laisser son torse malmené se dévoiler sous mon attention. Je tire sur ma clope avant de me laisser retomber assis sur le lit.

- On est pas sortie d'ici, je commente dans un soupir éreinté en frottant mon front du bout du pouce.

Je me relève non sans une grimace de douleur pour aller chercher le sac de potions abandonné sur la commode.

- Comment t'as fait pour te laisser attraper par ces trous d'cul au juste ?

J'observe mon époux évoluer sous mes yeux. Tout ça l'a autant épuisé que moi. Sans parler du sort qu'il vient de réaliser avec brillo. Il aurait pu me tuer. En un claquement de doigts, mais il m'avait sauvé, à nouveau. Toute cette situation me paraissait hors du temps, à des années lumières de notre dernière rencontre. Notre altercation m'avait laissé un goût amer et décidé pour de bon qu'il était temps d'en finir avec ce mariage devenu ridicule. Et maintenant, tandis que mes yeux le suivaient, ça me paraissait comme sorti d'un autre univers.

Un sourire m'anime lorsqu'il me charrie gentiment. Je m'attends à ce qu'il me détache, pour me rendre une liberté reposante, mais il n'en fait rien. Au contraire, il m'observe, en s'appropriant une cigarette dont les effluves ont quelque chose de rassurant. De connu. Ça me fait du bien, à travers toute la douleur qui m'a habité ses dernières heures.

« C'est surtout mon buste qui a prit. Mes jambes ont été épargnées. »

Eze bouge encore. Il se mouve au dessus de moi pour faire sauter les lambeaux de vêtements qui couvrent encore mon corps. Je le laisse me détailler tandis que je fixe sa plaie par balle. Milo a vraiment fait du bon travail, même si ça parait visiblement encore douloureux.

« Ton fils à fait du bon boulot. Je ne savais pas qu'il portait dans la guérison. »

Ce qui est sacrément ironique, vu les puissants pouvoirs de mort de mon mari. Il est son opposé parfait. Il a beau lui faire vivre un enfer pour le moment, il lui a sauvé la vie sans poser de questions. Eze doit être fier. Une fierté que je partage, même si je ne m'en sens pas légitime. Il fini par quitter le lit, non sans exprimer sa douleur. Sa question fuse à mon encontre. Comment je m'étais laissé attraper ? Un rictus se forme sur mes lippes rien qu'à se souvenir.

« J'ai relâché ma vigilance. J'ai reçu un appel pour un contrat, un mec que je connais bien. On a pris un verre, comme d'habitude. Il m'a trahit. Y'avait un truc dans mon verre. Tout ce dont je me souviens, c'est d'avoir tenter de m'enfuir. Et après, je me suis retrouvé là où tu m'a trouvé. »

Fin de l'histoire. C'était aussi stupide que ça. Je m'étais fais avoir comme un bleu, simplement. Et ça allait me hanter longtemps, me faire redoubler de vigilance, pour ne plus jamais que ça se produise. Mon regard épousa son dos.

« Pourquoi t'es venu me chercher ? »

Oui, pourquoi ? Pourquoi n'était-il pas resté dans sa tour d'ivoire, loin de toute cette histoire, alors même que son cher patron avait donné l'ordre de me cuisiner ? Il risquait gros, par son action. Ça allait à l'encontre de tout ce qu'il m'avait soutenu jusqu'à lors. Ça mettait en danger Milo. Alors, pourquoi ?

Mes doigts glissent par réflexe contre la plaie de mon flanc lorsque Léo évoque mon fils. Milo n'est pas revenu dans la chambre. Il a sans doute compris qu'il avait tout intérêt à laisser le champ libre à présent. Je tends l'oreille alors que je fouille à la recherche des potions qui me sont nécessaires. Aucun son suspect ne me parvient. J'ignore ce qu'il est en train de faire, mais c'est le calme plat de l'autre côté de la porte.

- Moi non plus je ne savais pas.

J'ai un sourire fatigué. Je suis de toute manière largué pour tout ce qui concerne mon garçon. Tout va bien trop vite avec Milo. Trop pour que je sois en mesure de suivre le rythme. Je n'étais pas au courant pour ses talents de guérisseur. Peut-être que c'est nouveau, ou peut-être qu'il me l'a juste caché. En tout cas, je ne peux pas m'empêcher de m'en inquiéter. Les dons de guérisseurs sont très recherchés, surtout dans mon milieu. Tout ce que j'espère à présent, c'est que ça ne soit pas arrivé jusqu'aux oreilles de ce gros porc de Zayn.

- Un somnifère ?

La manière dont Léo s'est fait attraper m'étonne. J'écarquille les yeux en revenant auprès de lui.

- Bon sang je n'aurais jamais pensé à ça, je marmonne avec un léger rire. C'est ... beaucoup trop simple.

Mon époux doit en penser la même chose, parce que même lui ne l'avait pas vu venir de toute évidence.

- Tu projettes de régler le compte de ce traître ?

Tout en discutant, je m'affaire à ma besogne. Mes doigts éloignent les pans de tissu de son torse pour étudier plus en détail les larges traces de brûlure qui marquent sa peau. J'ouvre l'une de mes bouteilles pour récupérer dans ma paume un liquide gélifié. J'étale avec précaution la mixture glacée sur les blessures du tueur à gages. Sa question me fait marquer un léger temps d'arrêt. Mes sourcils se froncent imperceptiblement sous l'incompréhension. Sa demande me surprend réellement tant la réponse me semble évidente. Celle-là même qui prend consistance dans l'anneau que nous portons, lui et moi, au doigt. Et pourtant, je choisis de ne pas m'étendre là dessus. Le souvenir des papiers de divorce que j'ai reçu dernièrement s'imprime de nouveau dans mon crâne. Je les avais oublié, ces dernières heures. Pas un seul instant ce détail m'est venu à l'esprit à partir du moment où mon homme de main s'est pointé dans mon bureau pour m'informer que Léo était détenu dans les sous-sols. Le voilà qui fait son grand retour à présent. Un sourire de façade se dessine par automatisme sur mon faciès.

- Parce que tu aurais fait la même chose pour moi.

Je n'émets pas même le moindre doute à ce sujet. Que Léo ose le faire lui-même. Et dans tel cas, il finira sans doute avec perte et fracas sur le trottoir, en bas de chez moi.

Eze n'était donc pas au courant des pouvoirs de son fils. La fierté que je ressentais à son égard se décompose sous un aspect bien plus épineux de l'éducation de cet enfant. Ça m'inquiète, de les voir se déchirer. De constater que mon mari n'est pas aussi proche de son fils qu'il le voudrait. Et en même temps, il suffit que je pense à Jade pour parfaitement le comprendre. J'imagine que c'est le propre des adolescents.

Mon époux commente mes aveux d'un rire qui entraine le mien. Ouais, moi non plus, je n'aurais jamais pensé à ça. Et c'était justement ça, le problème. Je ne devrais pas me faire avoir aussi facilement. Je hoche la tête alors qu'il me questionne à propos de mon vieil ami.

« C'était un bon ami. Du moins c'est ce que je pensais. J'aurais voulu éviter de lui mettre une balle dans la tête. »

Il avait choisi. Et il n'y avait pas de retour possible Il en était conscient, j'en étais certain. J'eu à peine une pensée pour sa famille. Regrettable tout ça. Vraiment. Mais je préfère ne plus y penser alors qu'il s'installe pour commencer à soigner mes plaies. Je serre les dents sous l'effet désagréable que la potion provoque. Le froid me fait du bien. Un soupir m'échappe. Je ferme les yeux le temps qu'il soigne patiemment chacune de mes plaies. Mes paupières se rouvrent d'elles-même lorsque sa réponse file entre nous. Simple, limpide. Trop pour ne pas m'ébranler, malgré le faux sourire qu'il arbore. Il a raison. Bien sûr qu'il a raison. Malgré le divorce et toutes ses conneries, je n'aurais pas hésité une seule seconde, à tout braver, juste pour lui. Parce qu'il y a des choses qui ne changeront jamais.

« Et Milo ? »

Je termine patiemment d'appliquer le cataplasme sur les blessures de Léo. Mes mains font leur oeuvre presque par mécanisme, pour avoir répété ces gestes des dizaines de fois au moins. Cette potion m'aura épargné bon nombre de maux par le passé. Le tueur à gages reprend la parole et me hèle à propos de mon fils. Cette simple question suffit à me faire serrer les dents. Mes muscles se tendent de nouveau et mon visage se ferme.

- Quoi "Milo" ?

Ma voix est très certainement plus froide que prévue. Tout en moi doit contredire ce que je suis en train de dire. En vérité, j'ai pertinemment saisi où il veut en venir. Ma petite rebuffade contre Zayn aura des conséquences, quelles qu'elles soient. Mais je n'ai pas encore eu le temps d'y réfléchir. Il est encore trop tôt pour planifier la résolution de ce problème ; il y en a tant d'autres à régler, avant ça. Mes yeux quittent finalement le torse de mon époux pour lui lancer un regard dénué de chaleur.

- Zayn a chié dans la colle. L'accord que j'avais avec lui incluait de ne toucher à aucun de vous deux. Ni Milo, ni toi. Il n'a pas respecté sa part du marché, et je déteste qu'on essaye de me la faire à l'envers.

J'abandonne son regard pour terminer rapidement ma besogne. Tout ça me fait encore penser aux papiers de divorce. Une acidité nouvelle que je m'applique à contenir me brûle le bout des lèvres. Léo a visiblement envie de s'engager sur un terrain que j'estime aussi puéril que ridicule, avec son idée de soi-disant divorce. Et si j'évite soigneusement d'aborder le sujet, je ne peux empêcher une partie de moi de grogner devant ce tableau contradictoire ; Léo qui prétend vouloir rompre tous liens de mariage avec moi, et Léo qui s'enquière de la vie de mon fils, que j'ai probablement mis en danger pour lui sauver le cul.

- J'ai fini, je conclus en m'empressant de recouvrir les dernières blessures, comme si sa peau était soudainement devenue brûlante. Je vais chercher d'autres draps. Il faut que tu dormes maintenant. Tu as besoin de récupérer.

D'un geste, je le libère de ses entraves à la tête de lit. Je m'éloigne alors pour rejoindre le placard, d'où je tire une litterie propre.

- Tu es capable de te lever ? je demande en lui lançant un coup d'oeil interrogatif.

Les traits de mon époux se métamorphose sous mes yeux. Il se renferme, à la seconde même où je pose ma question. Il n'y a pas réfléchi. Il n'a pas réfléchi aux conséquences de son acte. J'encaisse sa froideur sans sciller. Ça ne lui ressemble pas. Lui qui est tant dans le contrôle, celle-là, il ne l'avait pas prévue. Il ne tarde pas à reprendre la parole. J'écoute les explications de son accord avec Milo. Il ne m'en avait jamais parlé, jusqu'alors. Mes sourcils se réhaussent sous son aveu. Je ne savais pas, que je faisais partie de son accord. Je pensais qu'il n'y avait que Milo. Je serre les dents, retenant une grimace.

« Ça t'étonne, vraiment ? »

Je retiens ce qui menace de passer mes lèvres. Inutile de se disputer, même si je brûle de lui dire le fond de ma pensée. Comment a-t-il pu croire que Zayn tiendrait sa parole ? Lui qui le connait mieux que personne ? Ça me dépasse.

Son regard me quitte. Il fini rapidement son oeuvre sur mon corps. La tension est palpable entre nous. Froide, à nouveau. A croire que sera toujours comme ça, à présent. Est-ce qu'un jour seulement, nous arriverons à rester dans la même pièce sans vouloir s'écharper ? J'en doutais. Il récupère mon attention en m'informant de ses intentions. Changer les draps, pour que je puisse dormir. Mes mains frottent mes poignets douloureux lorsqu'il me détache enfin. L'idée de rester ici pour reposer flotte dans ma tête alors même qu'il me demande de me lever. Je hoche la tête avant de me mouvoir doucement pour me redresser. La douleur a cessé. Mon corps ne réclame plus que du repos à présent. Mes pieds épousent le sol avant que me lève pour de bon avec précaution. Je m'éloigne du lit, laissant le loisir à mon ex de faire ce qu'il veut du lit.

« Je vais y aller... »

Mon regard le trouve alors que je me retourne. Rentrer chez moi, me reposer et retrouver Jade, me semblait un planning tout trouvé. Bien plus que l'idée de dormir dans ce lit, dans cet appartement où je me sentais étranger. Je n'étais pas à ma place ici, définitivement.

« Je me reposerais chez moi. Ça ira. »