Je ne rétorque rien à la question de Léo, qui de toute façon n'attend pas de réponse. Je refuse de m'aventurer sur ce terrain-là, pour la simple et bonne raison que nous avons déjà eu cette discussion. Plusieurs fois. Et que ça a dégénéré à chaque fois. Je n'ai pas la force de gérer ça en plus de tout le reste aujourd'hui. Léo va tout continuer de désapprouver mes décisions, et même si je comprends sa position, je n'ai pas besoin d'une piqure de rappel à ce sujet.

Alors à la place, je me détourne et vais chercher de quoi changer les draps du lit. Ils sont tâchés de sang et désormais marqués par les restes de bile de l'estomac du tueur à gages. Je l'entends se lever tant bien que mal, malgré son corps malmené. Ce qu'il avance alors me fait lever les yeux au ciel. Rentrer chez lui ? Mais bien sûr. Il en a d'autres à me sortir dans ce genre-là ?

- Brillante idée, je lance d'une voix exaspérée. Tu vas juste foutre en l'air le cataplasme et maltraiter encore un peu plus tes blessures. Et bien sûr, tu tiens à peine debout. Si Zayn te tombe dessus au coin de la rue, tu seras en état de lui botter le cul, c'est certain.

Je déploie déjà le reste de mon énergie et de mon agacement à défaire les draps. Je finis par me redresser pour les balancer dans un coin de la pièce. Un soupir m'échappe alors que je repose finalement mon attention sur Léo.

- Allez, arrête de faire le con. Viens te recoucher.

Je me passerais bien de l'entêtement de mon mari. Si je dois gérer ses humeurs en plus de celles de Milo, je vais tout simplement finir par me jeter par la fenêtre.

- Ce serait idiot de ne pas rester groupé dans les prochaines heures, au moins le temps que chacun d'entre nous récupère suffisamment pour être en état de se défendre seuls. Tu peux proposer à Jade de venir ici si ce n'est que ça.

Je retourne à la tâche en prenant soin d'épargner au maximum la plaie de mon flanc, fraichement refermée à coup d’agrafes magiques branlantes.

La répartie de mon mari me fait lever les yeux au ciel. Bien évidemment, il ne me laisserait pas partir aussi facilement. S'aurait été trop beau. Mon dos trouve appui contre le mur alors qu'il poursuit sa tâche devant moi.

« Jade a besoin de moi. Il est hors de question que je la laisse seule. »

Au delà même du fait que ça ne me plait pas de rester ici, avec lui, et d'entretenir cette tension palpable entre nous. Je n'ai plus l'énergie pour ça, supporter la présence toxique de mon époux. Je rêve de rentrer et de m'enfiler quelques verres, histoire de dormir comme une masse. Pas de dormir dans le lit de mon ex. Un grognement m'échappe lorsqu'il me donne son ordre. Par simple contradiction, mon dos se décolla du mur avec la ferme intention de quitter la pièce et même l'appartement au plus vite.

« C'est bon je te dis. Je vais prendre un taxi. »

J'ai à peine fait un pas en direction de la porte, qu'il reprend la parole. Ses explications m'agacent. Je sais qu'il a raison. Je sais qu'il vaut mieux rester en groupe, que c'est plus prudent. Et c'est bien pour ça que je brûle d'aller rejoindre ma fille. Mais sa proposition, elle, fait écho en moi. Faire venir Jade ici. Chez Eze. Mon futur ex-mari. Mais bien sûr.

« Ouais, ça va pas du tout la perturber de venir ici tiens ! »

Je grogne. Ça m'agace. Une douleur à mon abdomen me fait grincer des dents. Ma main part se figer dans le mur alors que je me crispe sous le mal. Fait chier. Des gouttes de sueurs ne tardent pas à envahir mon front. Je déteste être aussi faible.

« Passe moi ton téléphone. »

Je me décolle à nouveau du mur pour revenir m'asseoir sur le lit, faisant fit des étoiles qui me brouillent la vue. J'attends qu'Ezekiel s'exécute avant de composer le numéro de ma filleule une fois de plus. Sa voix inquiète ne tarde pas à décrocher. Entendre le son de sa voix me tire l'ombre d'un sourire. Elle va bien. Zayn ne l'a pas trouvée. Pas encore. Je raccroche après lui avoir confié mes intructions.

« Elle arrive. »

Je jette le téléphone à côté de moi sur le drap avant de soupirer lourdement. Me retrouver coincé ici, avec Eze, était la cerise sur le gâteau de cette journée de merde. J'avais cruellement envie d'une clope. Et d'un bon verre, aussi. Mais si j'étais sûr qu'Eze ne rechignerait pas m'offrir la première, pour la seconde, je pouvais sans doute me brosser.

« T'aurais pas une cigarette pour moi ? »

Evidemment, il n'écoute pas. Evidemment. Il tente déjà de se barrer, devant mon regard passablement blasé. Je ne tente même pas de le retenir, sachant pertinemment qu'il n'est pas en état de s'enfuir plus loin que le hall d'entrée tout au plus. Et encore, c'est déjà bien optimiste vu son état totalement misérable. Je me retiens de rire lorsque je l'entends parler d'appeler un taxi. Sa mauvaise foi ne cessera probablement jamais de m'amuser contre son gré. Néanmoins je suis quasiment certain de me prendre un projectile, si ce n'est son pouvoir, en plein visage si je le lui montre.

- Léo, ta chemise est en lambeau, bordel de merde. Tu vas quand même pas partir comme ça.

Je n'arrive pas à lutter contre le sourire qui point sur mes lèvres. Cette scène est ridicule. L'inévitable finit par arriver, et le voilà désormais qui chancelle. Quelle surprise, vraiment. Je ne prends toutefois pas le risque d'aller lui porter secours moi-même. S'il y a bien quelqu'un en ce monde qui a une fierté tout aussi mal placée que la mienne, c'est bien lui. Hors de question que je me risque à ce genre de choses. Il revient auprès du lit, se laissant tomber dessus alors que je finis de changer les oreillers.

- Perturbée, mais oui. Je crois que l'épreuve de mon appartement n'est pas aussi terrible que de voir les flics débarquer sans prévenir un beau matin, parce que son parrain est un tueur à gages.

Franchement, il exagère. S'il veut épargner Jade, autant laisser la gosse s'assurer qu'il va bien.

- Je sais que tu détestes quand j'ai raison.

Un ricanement moqueur m'échappe. Je lui balance mon téléphone sans traîner, avant de déclencher une nouvelle guerre. Le temps qu'il passe son coup de fil, je m'applique à nettoyer la bile que j'ai moi-même recraché par terre tout à l'heure. Le tueur à gages termine son appel. Je ne fais pas plus de commentaires, n'osant pour l'instant pas imaginer à quoi va ressembler mon logement lorsque l'adolescente sera arrivée. Un vrai bordel, ça, c'est sûr.

- Hm, hm.

Mes doigts attrapent distraitement le paquets de clopes dans mon pantalon. J'extraie une cigarette de la boîte avant de lancer cette dernière à Léo. Autant la lui filer pour la nuit, si je veux espérer avoir un peu de paix. De mon côté j'allume le bâton de nicotine que je me suis gardé avant de lui abandonner également le briquet.

- Au lit, Léo, je lance en recrachant la fumée cancérigène. M'oblige pas à me battre avec toi comme je le fais avec Milo tous les dimanches soirs.

La répartie de celui qui partageait mon ancienne vie me tire une grimace. Le souvenir de la descente de flics à mon appartement me revient de plein fouet. Mon pouvoir s'agite dans mes veines rien qu'à entendre ça. Il menace de lui balancer le premier truc qui passe à la tête, rien que pour le faire taire. Je déteste quand il a raison ? Je déteste surtout quand il joue au con, avec ce sale sourire moqueur que j'ai toujours détesté chez lui. Bravo Eze, j'avais déjà pas envie de rester, là j'ai carrément envie de te balancer par la fenêtre.

Néanmoins, je retiens tout cela pour me concentrer sur mon appel. Jade va arriver bientôt. Mon corps s'agite sous le soupir rassuré que la nouvelle m'extirpe. Elle sera bientôt là. Tout le monde sera en sécurité. Enfin, sauf Eze, s'il continue de m'user les nerfs.

Mon regard le suit après que je lui ai réclamé une clope. Mon pouvoir intercepte le paquet qu'il me lance, avant de prendre une cigarette et de la porter à mes lèvres, l'allumant au passage sans même que j'ai levé un doigt. La nicotine fait à peine effet sur mon organisme que les mots de mon époux m'agace à nouveau. Mon regard noir lui réponds, avant que mon pouvoir vienne lui donner une tape à l'arrière de la tête, telle une vieille habitude venant d'une autre vie.

« Je t'emmerde, Eze. »

Mon corps bouge. Je me déplace sur le bord du lit de manière à m'asseoir plus confortablement en fermant les yeux quelques secondes. Je me sens déjà mieux. Les étoiles qui animaient mon regard ont disparues autant que les gouttes de sueur qui avaient envahi mon front. Mes yeux se relèvent sur la fenêtre à portée de regard. Je reste un moment ainsi, laissant un léger silence prendre place entre nous, entre deux bouffées de tabac.

« Alors c'est ça, la super vue de ton appart. »

Tout comme il me l'avait décrit, lorsqu'il était réapparu dans ma vie. Ses explications, je m'en souvenais comme si c'était hier. Un grand appartement vide où il n'était que lorsque Milo venait. Je me souviens de m'être demandé à cet instant où est-ce qu'il passait ses nuits, si ce n'était pas dans le lit dans lequel je suis actuellement assis. Et toi Léo, où passes-tu tes nuits ? L'ombre d'un sourire se traça sur mes lippes au souvenir de Scylla. Elle allait sans nulle doute me passer un sale quart d'heure, lorsque je donnerais à nouveau signe de vie. Je voyais la dispute d'ici. Mais je n'avais pas le choix. Hors de question qu'elle soit mêlée à tout cela. Je ne prendrais pas le risque qu'elle soit en danger par ma faute ou celle de Ezekiel. Même si mes mensonges la rendait folle, c'était mieux pour tout le monde ainsi.

Une grimace m'échappe alors qu'une claque invisible s'abat à l'arrière de ma tête. Une réplique me reste sur le bout des lèvres. Toutefois Léo abdique. Il bouge jusqu'à s'asseoir sur le rebord du lit. Même si ça le fait chier, il sait que j'ai raison. Je lève les yeux au ciel. La tape à l'arrière du crâne était totalement gratuite. Il n'a jamais eu le moindre scrupule à utiliser son pouvoir contre moi. Chose que je ne me permettrai jamais, pour des raisons particulièrement évidentes.

Lorsque sa voix s'élève de nouveau dans ma chambre, sa question me laisse quelque peu perplexe. Je suis son regard jusqu'à la fenêtre. Léo paraît scotché au paysage, pour le peu d'émotions que ça lui apporte. Pour autant, c'est sûr que ça doit lui changer de son appartement miteux dans le Bronx.

- Ouais. Et chanceux que tu es, tu vas pouvoir en profiter toute la nuit.

C'est le moment que choisit la sonnette pour se manifester. Mon attention vole vers la porte close, comme si j'avais la capacité de voir à travers les murs.

- C'est Jade.

Parce qu'il ne peut en être autrement. Aucun homme de Zayn ne se serait pris la peine de sonner. Je contourne rapidement le lit pour récupérer l'un des deux oreillers. Puis je récupère une couverture dans mon placard, avant de rejoindre la sortie.

- Reste là. Je vais la chercher.

Mes pieds s'arrêtent sur le pas de la porte, avant que je ne m'apprête à la refermer.

- Et s'il te plaît Léo, fais en sorte de dormir. Ne te propulse pas au centre d'une nouvelle catastrophe au milieu de la nuit.

Je quitte la pièce sans plus m'attarder. Milo est déjà en train de papillonner du côté de la porte d'entrée. Ses yeux inquiets volent dans ma direction à l'instant où il m'entend arriver. D'un signe de tête, je l'invite à défaire sa barrière magique et à ouvrir. Je dépose mes bagages sur le canapé tandis qu'il s'exécute. L'adolescente aux cheveux blonds apparaît alors, frêle et mal à l'aise sur le paillasson. Elle tient un sac de voyage dans ses deux mains.

- Léo est dans la chambre, je l'informe en tirant sur ma cigarette.

La jeune fille ne se fait pas prier avant d'entrer et de traverser le séjour pour rejoindre son parrain.

- Milo, je compte sur toi pour t'occuper d'elle, d'accord ?

Ce faisant, je ferme la porte et me charge moi-même d'instaurer une barrière magique pour la sceller. Je sens les yeux de mon fils me suivre sans relâche. J'entends d'ici toutes ses questions se bousculer sur le bout de sa langue. Jusqu'ici, il a accepté d'obéir sans trop rechigner. Mais à présent que je lui refourgue Jade entre les pattes, il ne va certainement plus dire amen sans obtenir un semblant d'explications. Tout ça est en train de prendre bien trop d'ampleur pour lui.

- Zayn a essayé de s'en prendre à Léo, je lâche finalement en retournant m'asseoir dans le canapé pour soulager mon flanc douloureux.
- Tu déconnes ou quoi ? Pourquoi Zayn ...
- Parce que Léo détient des informations précieuses.

Mon fils gravite autour de moi. La teneur de mes révélations le rend nerveux. Est-ce vraiment étonnant ? C'est bien pour ça que je lui ai évité toute la vérité sur ma séparation avec Léo. Un garçon de son âge ne devrait pas avoir à s'inquiéter de ce genre de choses.

- Papa ... Tu veux dire que les potes à Zayn pourraient débarquer ici d'un moment à l'autre ? C'est pour ça que tu as protégé la porte ? C'est eux qui vous ont fait ça ?
- Personne n'entrera ici. Je te le promets. C'est juste une précaution.

J'ai un semblant de sourire auquel il ne croit pas du tout. Mais il ne proteste pas.

- Occupe toi de Jade, d'accord ? Léo a besoin de se reposer. Et moi ... je crois que j'ai perdu un peu plus de sang que prévu, tout à l'heure.

Mes doigts s'attardent un instant sur la cicatrice rose qui marque désormais ma chair. Je peine toujours à croire que c'est Milo qui a fait ça. Mais j'aurais cette conversation avec lui plus tard.

- Ok, papa ... Appelle si ça ne va pas.

Un nouveau sourire étire mes lèvres sèches. Je couve mon garçon du regard, alors qu'il s'éloigne déjà. Ma chair et mon sang. Et pourtant mon total opposé. Milo est certainement né pour protéger les autres, contrairement à moi.

Je ne réagit pas à sa répartie. Seuls mes yeux roulent dans leur orbite. Ma tentative d'engager une quelconque conversation pour lever la tension entre nous échoue lamentablement. Je me lève à la seconde où j'entends la sonnette de l'appartement résonner. Grave erreur. Je retombe aussi sec sur les draps. Fais chier.

« Ok. »

Je l'entends marcher dans mon dos. Ses mots volent avant qu'il ne quitte la pièce. Dormir, hum ? Plus facile à dire qu'à faire, bien que mon corps réclame un repos plus que mérité. Un soupir m'échappe lorsque je me retrouve seul dans la pièce. Je tire sur ma cigarette en tendant l'oreille, espérant entendre ce qui se passe dans l'appartement. J'entends vaguement la voix d'Eze avant des pas pressés venant dans ma direction. La porte ne tarde pas à s'ouvrir. Je tourne la tête pour découvrir la silhouette de ma fille, lui offrant un sourire. Son regard trahit son malaise et son inquiétude. Son sac atterri sur le sol avant qu'elle ne se précipite sur moi pour me prendre dans ses bras. Je grimace sous le choc mais la retient contre moi, lui murmurant des mots rassurants. Tout irait bien maintenant.

Enfin, elle me relâche. Elle relève la tête vers moi en s'asseyant à mes côtés. Ses questions se bousculent dans sa tête, je le vois à son regard. Je n'y couperais pas. Je ne compte de toute façon pas lui mentir. J'explique patiemment la situation en lui assurant qu'ici, nous n'avions rien à craindre. Son regard me fixe quand j'ai fini mon discours.

« Tu devrais te reposer maintenant. Tu en as besoin. »

Je souris largement. Elle est adorable. Elle se lève sans même attendre de réponse de ma part, ponctuant son départ par un baiser sur ma joue. Je la suis du regard tandis qu'elle quitte la pièce. J'ai vraiment de la chance de l'avoir ma fille, même si je suis loin d'être un père parfait. Le silence a reprit sa place dans la chambre. J'écrase mon dernier mégot dans le cendrier avant de m'allonger sur le lit. Je retrouve le plafond blanc avec un certain malaise. Je suis dans la chambre de Eze, dans son appartement. L'idée de cette situation étrange tourne dans ma tête. Mes paupières se ferment néanmoins. Mon corps se détend enfin contre les draps. Eze m'avait sauvé. Jade était en sécurité. Tout irait bien.



Mes paupières s'ouvrent une énième fois sur le plafond. Je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est. La nuit s'est installée depuis longtemps sur la ville. Impossible de fermer l'oeil. Les flashs des derniers évènements tournent en boucle dans ma tête. La douleur, elle, tente de reprendre ses droits sur mon corps endolori. Mon regard glisse sur la silhouette de Jade, endormie à mes côtés, emitouflée dans la couveture. J'observe ses traits apaisés, me tirant un sourire rassurer. Peu importe si je ne dors pas, elle au moins, se reposait.

Je m'extirpais du lit sans un bruit. Mes doigts attrapèrent le paquet de clopes que Eze m'avait laissé. Je devais me rendre à l'évidence, le sommeil ne voudrait pas de moi cette nuit, peu importe à quel point je pouvais avoir besoin de repos. Une cigarette trouva sa place entre mes lèvres tandis que mon regard parcourait la chambre. Elle me rendait mal à l'aise. Définivement. Je ne supportais plus d'être ici. Briquet à la main, je me glissais jusqu'à l'extérieur à pas de loup, refermant la porte derrière moi avec précaution. Ma vision pleinement adaptée à la pénombre, je me déplaçais dans l'appartement avec plus ou moins d'aisance. Je n'étais encore jamais venu ici. Mes yeux parcouraient la décoration sobre de l'appartement sans que j'arrive à m'y sentir à l'aise. C'était ici, que Eze avait fuit notre mariage. Qu'il avait vécu sa vie sans moi. Ce simple fait me laissait un goût amer que je décidais d'ignorer pour me diriger vers le balcon. J'ouvrais la porte-fenêtre, accueillant la fraicheur de la nuit comme une vieille amie. Mon corps épousa la renbarde alors que j'allumais enfin la tige entre mes lèvres. Les premières volutes de fumée s'échappèrent presque aussitôt de ma bouche. Mes yeux s'accrochèrent aux étoiles à peine visible. La cigarette fit son effet. Mes muscles se relâchèrent en un soupir las. Comme si il retraçait à lui seul toute la fatigue de cette journée abominable. J'étais toujours debout, grâce à Eze. Ça me faisait chier. Pourquoi fallait-il que ce genre d'attention me fasse encore de l'effet ? Eze était encore là. Toujours. Peu importe le nombre de fois où je pouvais l'envoyer chier. Peu importe les disputes, les papiers du divorce et toutes ses conneries. Il n'avait pas hésité une seconde à venir me sauver. Il n'avait pas hésité à mettre la vie de son fils en jeu pour moi. Et maintenant, je me retrouvais à panser mes plaies dans son appartement. Comment arrivait-il encore à m'ébranler autant ?

Il ne doit pas être loin de quatre heures du matin lorsque les pas étouffés du sorcier glissent contre le parquet. Calé sur le canapé, je ne bronche pas. Mes paupières demeurent immobiles, espérant encore vainement de me voir happé par les bras de Morphée. Pourtant si le sommeil me fuyait déjà jusqu’à présent, maintenant que l’aura de Léo traîne dans les parages, dormir s’avère totalement impossible. Un soupir silencieux m’échappe. Un jour, je finirai bien par rattraper tout ce repos en retard qui s’accumule depuis des décennies.

Et ce jour-là, je serai probablement mort.

Mon corps finit par se redresser sans un bruit. Je coule un coup d’œil vers la baie vitrée. La silhouette du tueur à gages m’apparaît de dos, appuyé contre la rampe du balcon. Je ne réfléchis pas vraiment lorsque je me lève et que mes pas avancent jusqu’à la porte-fenêtre. Je reste néanmoins à sage distance, préférant appuyer mon épaule contre l’encadrement de la porte plutôt que de m’aventurer trop près.

- Insomnie ?

Ma voix s’élève à peine dans le calme plat de la nuit. J’inspire longuement. L’ambiance nocturne a quelque chose d’apaisant.

- T’aurais pas une cigarette ? je demande finalement, dans ce qui ressemble à un léger sourire.

Les yeux fixés sur le paysage, inlassablement perdu dans mes pensées, je ne remarque pas tout de suite la présence d'Eze dans mon dos. Sa voix me fait retrouver la réalité. Je sens mon coeur redoubler ses battements comme une habitude tenace. Ça fait partie des choses qui ne changeront jamais. Ma tête se tourne vers lui, sans pour autant établir de contact visuel. Sa question me tire un vague hochement de tête entre deux bouffées de tabac. Sa demande me fait me décoller du balcon pour chercher le paquet dans ma poche. Je le lui envoie en même temps que le briquet. Presque aussitôt, je me remets dans ma position initiale. A nouveau, mes yeux se perdent dans la nuit. Sauf que cette fois, je suis incapable d'ignorer mon époux. Sa présence à elle seule me perturbe bien trop. Mes yeux finissent par se reposer sur lui. Ils le détaillent, lui et ses cheveux en bataille. J'ai toujours aimé ses cheveux lorsqu'ils étaient décoiffés. Puis, ils descendent sur son buste, là où est sa plaie.

« Ça va mieux ? »

Ma voix brise le silence fragile entre nous. Tout comme moi, ses traits sont tirés. Il est tout aussi fatigué que je le suis, mais n'a pas l'air d'avoir réellement mal pour autant. Ça me rassure, même si je refuse de l'admettre. Il va bien, rien ne peux nous arriver. C'est ce que je me répète pour me rassurer. Pour au moins essayer de me raisonner. Et malgré ça, je suis toujours incapable de fermer l'oeil.

La nicotine m’imprègne les poumons. Je lâche un soupir, appréciant l’effet salvateur du poison sur mon organisme ankylosé. Mon attention ne quitte pas Léo. Que ce serait-il passé si on ne m’avait pas mis au courant de sa présence chez Zayn ? Aurait-il vraiment crevé dans ce sous-sol lugubre ? Je tire à nouveau sur ma clope pour chassant le nœud qui tente de se former dans ma gorge. Les yeux de Léo glissent sur moi, sans jamais vraiment croiser les miens. Sa question s’évanouit dans la nuit. Je recrache ma fumée cancérigène en direction des étoiles.

- Milo a fait le nécessaire.

Ça ne répond pas totalement à la question, j’en ai conscience. Si physiquement la blessure va mieux, intérieurement c’est un putain de gros bordel. J’ignore encore comment je vais gérer toute cette merde. Zayn n’a pas apprécié ce qui s’est passé. Et il ne va certainement pas laisser passer ça. Ses menaces étaient on ne peut plus explicites. Milo est dans la merde. Léo est dans la merde. Nous sommes tous dans une putain de merde sans nom.

Et c’était exactement ce que je m’échinais à éviter depuis trois ans.

Un nouveau soupir m’échappe, plus las cette fois. Mes doigts courent jusqu’à la plaie ressoudée par la magie de Milo sous mon tshirt. C’est suffisamment sensible pour m’arracher une grimace, mais ça ne s’est pas remis à saigner. C’est une bonne chose.

- On a vraiment failli y passer, hein ... ?

Je relève les yeux vers Léo. Le calme de la nuit jure atrocement avec le chaos des derniers événements. Avec les coups de feu et l’odeur de sang qui stagnent encore dans mes arrière-pensées. Mes jambes entrent en mouvement pour le rejoindre. Je m’accoude à la rambarde à mon tour, faisant face à la ville endormie.

- Qu’est-ce qui te tracasse ?

Plein de choses, certainement. Mais peut-être que c’est l’une d’elles en particulier qui l’empêche de dormir.

Eze ne me réponds pas réellement a ma question. Sa plaie se porte bien, mais c'est dans sa tête, que c'est le bordel. Après tout, lui aussi n'arrive pas a fermer l'oeil. Le silence s'installe entre nous, entrecoupés par nos souffles qui recrache nos cancers. Eze parle a nouveau. Ses paroles trouvent écho en moi. C'est loin d'être la première fois que nous sommes en danger de mort. Mais cette fois, j'ai réellement cru que je ne reverrais jamais la lumière du jour. Et c'était grâce a lui, que je pouvais encore admirer le ciel ce soir. Mais ça, ça m'arracherait la bouche de lui dire.

« Ouais... »

Mon mari approche. Mes yeux l'accrochent alors qu'il s'installe a mes cotés. Je ne me rappelle même plus quand est-ce que nous avons vécu un moment aussi paisible. Sans éclat de voix ou engueulade. C'est, tellement apaisant.

Sa question me provoque un sourire sans joie. Je me redresse pour récupérer le paquet de clopes dans sa poche arrière, en grillant une nouvelle après avoir fait valser l'autre.

« Tu fais chier Eze.»

Je murmure mes mots dans un souffle. Tu fais chier, de m'avoir sauvé. Tu fais chier d'être encore là malgré tout ce qu'on a pu se dire. Est-ce que je suis vraiment en train d'envisager de lui parler a coeur ouvert malgré tout ça ? Visiblement. A croire que je n'arrive juste pas a m'en empêcher.

« T'aurais dû me laisser crever là bas.»

J'epousais a nouveau ma position initiale, les yeux rivés sur le ciel.

« Maintenant toute notre famille est en danger.»

Ses mots me traversent. Si le reproche aurait pu me glisser dessus sans m’atteindre, en revanche la suite de son discours ne peut pas me laisser de marbre. L’organe vital coincé dans ma poitrine se broie un peu plus. Je demeure stoïque pourtant, les yeux raccrochés au paysage citadin. Le silence se réinstalle entre nous, d’une manière bien moins sereine désormais. Léo vient de prononcer à voix haute cette crainte qui me poursuit depuis des heures. Et ce simple fait suffit à la rendre bien trop concrète, au point de me laisser une marque glacée au plus profond de l’âme.

- Je sais, Léo ...

Mon regard tombe sur la cigarette qui se consume entre mes doigts. Un rictus fade vient étirer mes lèvres.

- Je sais que je suis égoïste.

Je finis par me tourner vers lui, gravant dans ma mémoire cette image apaisante de lui, le nez levé vers le ciel.

- Mais je ne peux pas concevoir de vivre dans ce monde si tu n’y es pas.

Je lâche mes mots tels qu'ils me viennent. Sans fioritures. Sans penser a l'impact qu'ils pourraient avoir sur lui. De toute façon, je suis censé m'en foutre, non ? Sauf que j'y arrive pas. J'y suis jamais arrivé, même avec toute la haine que je peux lui porter.

Sa réponse par contre, me prend de cours. Je ne m'attends pas a ce qu'il assume autant sa responsabilité là dedans. Ça me perturbe. Mais pas assez pour que je quitte le ciel des yeux. La suite, en revanche, me renverse avec violence. Mon coeur repart avec force dans ma poitrine. J'ai un faible sourire en tirant sur ma clope. Il a toujours eu les mots pour me faire chavirer. Toujours.

« Dis plutôt que tu n'avais aucune envie de te retrouver avec Jade dans les pattes.»

Je lui offre un sourire en essayant d'oublier la signification de ses mots. C'est mieux comme ça non ?

Mes mots l’imprègnent. Je continue de l’observer, sans broncher. Je connais suffisamment Léo pour savoir qu’il me croit, et ce malgré la mauvaise excuse qu’il me répond. Si ça n’avait pas été le cas, il m’aurait envoyé chier, avec toute la hargne et tout le méprit dont il a fait preuve lors de nos dernières disputes. Mais mon époux est toujours là. Debout devant moi, sans chercher à fuir. Et sans avoir tenté de me balancer par-dessus le balcon. Pour la première fois depuis longtemps, lui comme moi semblons trop épuisés pour continuer cette guerre que nous nous menons depuis des mois. Réunis dans l’épreuve et face au danger qui se profile au loin. Je déglutis. Nous devons restés unis pour affronter Zayn.

- Je suis sérieux, sjelevenn. Quel sens aurait ce merdier sans nom qu’est ma vie si tu n’étais plus là ?

Mon flanc s’appuie contre la rambarde alors que je tire à nouveau sur la cigarette, avant qu’elle ne se consume entièrement entre mes doigts. Mes yeux se détournent pour retourner se perdre dans le paysage. Ma mâchoire se contracte.

- Notre famille a toujours été en danger. Tu avais raison, faire confiance à Zayn et le suivre dans ce plan foireux était une mauvaise décision. Mes choix n’ont fait que retarder l’inévitable...

Je soupire en silence. J’étais persuadé de pouvoir retourner la situation à mon avantage en œuvrant dans l’ombre. Renverser Zayn, lui faire regretter son chantage, et me venger. Libérer les miens de sa menace et retrouver la vie qu’il avait souhaité m’arracher. C’était un projet trop ambitieux. Il m’aurait fallu plus de temps, bien plus de temps encore. Surtout, Milo est devenu un véritable électron libre et Léo a découvert le pot-aux-roses. Jongler avec ces deux données instables était devenu impossible. Ce qui a commencé dans le sang, doit se terminer par le sang. Ce soir, je me rends enfin à l’évidence.

Evidemment, ma réplique tombe totalement à l'eau. Il insiste. Le seul surnom qu'il m'offre me fait frémir. Un frisson remonte brusquement le long de mon échine. Je serre les dents, une partie de moi refusant catégoriquement qu'il m'appelle encore ainsi. C'est trop précieux, trop représentatif, juste... Trop. Ma langue menace de l'envoyer chier mais pourtant, je reste muet, tentant juste de calmer ce qu'il provoque en moi. Je me refuse de le regarder. Je sais que si je le fais, je serais encore plus perdu que je ne le suis déjà. Je sais que je céderais. Encore. Je ne veux pas de ça. L'espoir de son amour m'est devenu bien trop insupportable.

Ma cigarette se consume au contact de mes lèvres pour toute réponse. Mais ce n'est pas terminé. Mon époux poursuit. Ses paroles me font l'effet d'un électrochoc. Mon regard se fige sur lui, franchement éberlué. Mes yeux papillonnent tandis que je me demande sérieusement si toute cette conversation est belle et bien réelle et que je ne suis pas en train de complètement halluciner à cause des potions.

« Tu... Quoi ? »

Il soupire. Mon cerveau n'arrive absolument pas a absorber l'information. L'aveux de Eze me laisse sur le cul, ni plus ni moins. Putain celle là, je m'y attendais vraiment pas. Eze assume ses fautes. Il reconnait ses tords et avoue que tout ça était une putain d'idée de merde. J'le crois pas. Un sourire fini par déformé mon visage fatigué. Enfin, je détourne les yeux vers le paysage, reprenant une bouffée de clope.

« Wow. Ezekiel Reece qui reconnait ses erreurs. Et qui en plus me donne raison. Incroyable. Comme quoi tout est possible dans ce foutu monde. »

Un rire raillé m'échappe. Mon mari me surprendra toujours. Combien de temps avais-je attendu ça ? Depuis cette nuit à l'hôtel, lorsqu'il m'avait tout révélé. Lorsqu'à l'époque, même après son absence, je le voulais encore de toute mon âme. Lorsque je croyais encore dur comme fer que nous pourrions reprendre notre vie là où nous l'avions laissé. Putain Eze. Tout ça me retourne complètement la tête. Mon sourire se fane aussitôt. Heureusement, la clope entre mes doigts apaisent un temps soit peu le chaos que je traverse. Pour qu"Eze m'avoue tout ça, c'est que c'est vraiment la merde. Le point de non retour. Ce moment critique où toute cette merde fini par nous exploser à la gueule. Je soupire, chassant mes sentiments en une nouvelle taff.

« A ton avis, qu'est-ce qui nous attend maintenant ? »

Mon regard se perd entre mes deux bras accoudés au-dessus du vide. La hauteur me monte à la tête et génère un frisson le long de mon échine. Il est difficile de dire si la sensation est agréable ou non. Le vertige passager me prouve néanmoins que je suis toujours vivant, et ça, c'est quelque chose qui fait du bien.

Léo lance une réponse qui aurait ressemblé à une plaisanterie s'il n'avait pas été aussi éreinté. Mon épaule vient cogner contre la sienne en guise de représailles. L'ombre d'un sourire effleure la rigidité de mes lèvres. Ouais, le tueur à gages a eu ce qu'il voulait. Je reconnais que mon plan s'est effondré. J'aurais au moins essayé.

Il se passe de précieuses secondes suspendues dans la nuit, au cours desquelles nous restons ainsi, à regarder nos cigarettes se consumer dans le vide. Le calme après la tempête. Le calme avant la tempête. Lui et moi nous trouvons dans l'oeil d'un putain de cyclone. Cernés de tout part, à reprendre notre souffle avant que le chaos ne récupère ses droits.

Sa question trouble à peine le silence. J'inspire longuement et m'imprègne de l'air frais, avant de tirer à nouveau sur mon mégot. Mes lèvres s'animent et je réponds sans passer par quatre chemins :

- La mort, d'une manière ou d'une autre.

Son spectre menaçant ne me fait plus peur depuis des années. La mort est l'essence même de la magie qui coule dans mes veines. Mais surtout, elle reste la seule solution pour en finir avec toute cette histoire. Soit Zayn y laissera sa peau … soit nous y laisserons la nôtre.

- Il n'y a plus d'autre alternative désormais.

Je recrache doucement ma fumée, avant de tourner mon regard vers Léo. Vers l'homme que j'ai épousé il y a de ça des années, alors que rien ne prédestinait nos chemins à se croiser … ni même à s'emmêler. Un sourire épuisé et paradoxalement serein se glisse sur mes joues mal rasées.

- Qu'importe l'issue … Et si tu affrontais tout ça avec moi, Léo ? Comme on le faisait avant. Tu te rappelles ? Toi et moi, ensemble, on était intouchables.

Mes paroles troublent à peine le silence qui a prit place entre nous. Cette question, je la redoute plus que tout autre. Et maintenant ? Est-ce que Zayn allait tenter de nous assassiner ? S'en prendre aux enfants ? C'était le pire qu'il puisse arriver. La réponse de mon époux me conforta dans mes craintes. Ce sera lui ou nous. Mon regard glisse à sa rencontre, avalant la fatalité de notre propable mort prochaine. Je savais, depuis le début, que ça finirait comme ça. Ça ne pouvait pas en être autrement. Le regard que nous échangeons est lourd de sens. Il me transperce, ce regard. Comme si tout ce que nous avions vécu ensemble se concluait ici. Son sourire serein me secoue violemment. Ezekiel semble accepter son destin, sa probable mort prochaine. Cette mort que nous avons maintes et maintes fois provoquée sans jamais qu'elle nous attrape. Cette fois-ci, notre course folle prenait fin.

Je fini par détourner les yeux, retournant au paysage qui s'offre à nous. Ma cigarette fait un aller-retour jusqu'à mes lèvres alors que les siennes se délient encore. Ses mots assèchent ma gorge. Un sourire désabusé tord mes lèvres un bref instant.

« T'es pas croyable... »

Après m'avoir repoussé tout ce temps pour faire cavalier seul, voilà qu'il me proposait de faire équipe pour éliminer ce fils de pute de Zayn. Maintenant qu'on avait plus le choix. Je ruminais mes véhémences en silence. J'étais trop épuisé pour encore me battre contre lui, de toute façon. Et puis, l'idée de le laisser affronter ça tout seul ne m'avait même pas traversé l'esprit une seule seconde, même si je ne l'avouerais jamais.

« Tu penses réellement que je t'aurais laissé y aller seul ? »

Mon regard l'accroche un instant. Je me souviens de cette époque, où personne ne pouvait nous arrêter. Nous avions fait des ravages, lui et moi, main dans la main. Nous étions le couple meurtrier le plus craint de la ville. Ensemble, nous avions une chance. Ensemble, une dernière fois. Et puis une fois que tout ça sera fini, nous serions enfin libre. Jade et Milo seront en sécurité et nous pourrions enfin retourner à nos vies. Mais laquelle, au juste ? L'image de Scylla se creusa dans mon esprit un bref instant, avant que le regard d'Eze ne la réduise à néant. Je me rappelais de cette nuit au téléphone avec lui. De cette presque promesse, que je lui avais faite, de l'attendre, jusqu'à ce que ce moment arrive. Jusqu'à ce que Zayn disparaisse. C'était du passé. A l'image de notre relation. C'était un moment de faiblesse, comme j'en avais eu des centaines ses derniers mois. Parce que Ezekiel restait l'homme de ma vie. J'avais beau essayer de me convaincre du contraire, il suffisait que je le regarde pour comprendre que je l'aimais encore. Et que je l'aimerais jusqu'à la fin, quoi qu'il se passe et quoi que je puisse faire contre ça. Il y avait des choses inaliénables dans ce monde, malgré toute la douleur qu'elles pouvaient engendrer.

Je poussais sur mes avants bras pour me relever, envoyant valser le reste de ma clope dans un dernier nuage de fumée.

« C'est quoi ton plan ? »

Je sens la vague amère que ma proposition soulève en lui. Léo se laisse gagner un instant par la rancoeur que j'ai alimenté en lui ces derniers mois. Et puis finalement, un sourire sans joie remporte la bataille. Sa remarque désabusée glisse entre ses lèvres et moi je reporte mon attention sur le paysage nocturne. Il n'y a plus de pique dans ses paroles, plus de sarcasme. Il ne répond pas vraiment à ma question, pour autant je sais que tout ça veut dire oui. Je sais qu'il a abandonné l'idée de batailler sans cesse avec moi. L'ennemi est ailleurs désormais.

Je me sens apaisé. Léo ralliera ses forces aux miennes. Il n'y a pas meilleur partenaire pour s'attaquer à Zayn de front. Au-delà de ça, nos chances de le vaincre ne peuvent pas être plus élevées qu'à présent. Seul, Léo a bien failli y laisser la vie. Les événements des dernières heures le prouvent. À nous deux, nous pouvons nous en sortir.

Et au-delà de ça … Si je meurs, je suis heureux de penser que ça sera à ses côtés.

Il bouge, brise l'inertie du moment, est s'interroge sur le plan à venir. Mes yeux sombrent à nouveau dans le vide, vers la rue en contrebas. Durant un instant, je réfléchis pleinement à sa question. Et puis enfin, je me redresse à mon tour, abandonnant le mégot dans un cendrier posé sur la rambarde.

- Le plan ?

Un sourire en coin se glisse sur mes joues. Je fais face au sorcier.

- Le plan, c'est qu'il n'y a pas de plan, Léo.

Mes doigts attrapent les siens. Je l'attire vers moi alors que j'avance d'un pas vers lui. J'envoie chier tous les schémas stratégiques qui virevoltent dans mon esprit. J'envoie chier l'interdit, j'envoie chier ma raison. J'envoie chier sa colère, son mépris et ce divorce à la con. Mes lèvres s'approprient les siennes comme si c'était la dernière fois. Comme s'il n'y avait rien de plus important, désormais.  Je l'embrasse dans un geste possessif, cherchant à graver cette sensation unique dans mon esprit. C'est avec ce sentiment dans le cœur que je veux partir, lorsque mon heure aura sonné.

Je détaille mon époux alors qu'il semble en pleine réflexion. Serait-il possible qu'il n'ai pas encore réfléchis à la question ? Lui ? Je n'arrive décemment pas à y croire. Ezekiel a toujours tout contrôlé. Toujours. Pourtant maintenant, j'ai l'impression que même lui, n'a aucune idée de comment faire. Pas encore en tout cas. Je reste silencieux, pendu à ses lèvres, jusqu'à ce qu'il se redresse à son tour. Je ne réalise pas tout de suite ce qui sort finalement de sa bouche. Je ne comprends pas son sourire, ni même ces mots. Pas de plan ?

Je n'ai pas le temps de le voir venir, ni même de le repousser, lorsqu'il s'empare de ma main pour me tirer vers lui. Ses lèvres échouent sur les miennes avec la force d'un ouragan. Il explose toutes mes barrières. Il m'embrasse comme jamais il ne l'a fait auparavant. Comme si le monde allait s'écrouler d'un instant à l'autre. Comme si c'était la dernière fois. La glace cède pour de bon autour de mon coeur. Elle éclate pour laisser les sentiments déferler en moi, sans que je ne fasse rien pour l'en empêcher. J'ai abandonné la partie pour de bon, dans notre baiser étourdissant. Mes paupières se ferment sans même que j'en ai conscience. Mes doigts glissent à sa rencontre. Ils le cherchent, l'accrochent et l'agrippent avec force pour le retenir à moi. Cette fois, il ne partira plus. Pas sans moi. Plus jamais.

Mon corps repousse le sien. Je l'éloigne de la porte fenêtre sans cesser de l'embrasser. J'oublie tout de ces derniers mois. Tout de la douleur et de la colère qui m'habitait. Cette guerre incessante qui nous a amené à cet instant précis. Seul compte le regard qu'il me lance lorsque je le laisse enfin respirer. Si ce doit être la dernière fois, je veux l'aimer comme au premier jour. Je veux le chérir et le laisser reprendre ce qui lui a toujours appartenu. Je veux jouir de cet instant, pour mourir à ses côtés lorsque le moment viendra.

Un profond sentiment d'apaisement nait dans mon ventre et se répand à travers mon corps tout entier lorsque Léo répond à mon geste. Ses lèvres s'animent contre les miennes. Son souffle se mélange au mien. Sa chaleur se fond contre moi. À présent, plus rien d'autre ne compte. Plus rien ne peut nous atteindre. Ensemble, c'est tout ce qui importe.

Mon dos rencontre la rambarde du balcon. Je croise son regard, et alors, mon cœur s'ébranle dans mon torse. Comme s'il reprenait vie, derrière une masse de cendres. Les yeux de Léo parlent pour lui. Il n'y a plus besoin de mots. Lui et moi nous comprenons, comme avant. Sans mot. Comme une évidence.

Je reprends mon souffle alors que le poids de son corps contre le mien éveille un désir longuement enfoui. Mes doigts remontent son buste pour venir encadrer son visage. Depuis combien de temps ne l'ai-je pas touché ainsi ? Depuis combien de temps n'en ai-je pas eu le droit ? Mon cœur s'anime d'autant plus, enhardi par ce contact retrouvé, dont on l'avait si cruellement privé.

- Je t'aime Léo, je souffle d'une voix rauque, les yeux plongés dans les siens. Jusqu'à la mort.

Et l'instant d'après, ma bouche récupère ce qui lui appartient. Je l'embrasse comme si nous ne nous étions jamais quitté. Ma langue vient chercher sa jumelle. Dans mon ventre, un désir sourd et inaltérable s'éveille. Je m'infiltre sous son tshirt, redécouvrant avec un délice qui je ne retiens pas la peau brûlante de son ventre. Mes mains glissent contre ses abdominaux, remontent jusqu'à ses flancs et rejoignent ses reins. J'attire le bassin du sorcier contre le mien alors que mes dents piquent suavement sa lèvre inférieure. Le besoin charnel dans mon bas-ventre s'échauffe à son contact. Mes doigts dévalent alors la peau de son dos jusqu'à s’infiltrer sous l'élastique du jogging qu'il m'a emprunté. J'empoigne l'une de ses fesses, l'ombre d'un sourire mutin aux lèvres, et me laisse retomber avec lui contre la rambarde en possédant sa bouche de plus bel.

Il me fait chavirer. J’ai l’impression de perdre pieds lorsqu’Eze happe mon regard en un geste possessif. Son regard s’est métamorphosé. Le voile sombre et froid qu’il arborait comme à son habitude a disparu pour laisser place à une flamme que je n’ai pas vu depuis des années. Mon époux est enfin là. L’homme que j’ai épousé, plus celui avec lequel je m’étais tant disputé. Ezekiel, le vrai. Il me ramène des années en arrière. Il me transperce, tellement fort que je crois en perdre l’équilibre. Mais ce n’est rien, comparé à ce qui sort de sa bouche. Un violent frisson me traverse à l’instant où il prononce ses mots. Mon cœur explose dans ma poitrine. Mon souffle s’est envolé, coupé dans son élan par ses aveux. Je fonds contre sa bouche, lui offre ma langue en me collant contre lui. Mon esprit a du mal à réaliser ce qu’il se passe. Il n’y a que lui qui existe. Lui et ses mots qui tournent en boucle dans ma tête. Mes lèvres brûlent contre les siennes. Elles sont devenues incapable de parler, de s’exprimer correctement autrement qu’en l’embrassant. Pourtant, il y a tellement de choses que je voudrais lui dire. Tellement, qui tournent dans mes pensées sans que j’ai le courage de les lui avouer. Nous n’avons plus le temps. Plus maintenant.

Mon souffle s’agite sous ses doigts explorant mon buste. Je frissonne là où sa peau redécouvre la mienne, laisse échapper un soupir lorsqu’il s’empare de ma fesse.Le désir monte en flèche dans mon bas ventre, qu’il se réapproprie d’une délicieuse manière. Mes mains finissent par l’entourer. Je reprends mon souffle pour glisser ma tête dans son cou. Mes bras l’entourent pour l’enlacer avec force. Parce que j’ai peur de ne plus pouvoir le faire ensuite. Parce que j’ai peur que ce soit la dernière fois. Durant un instant, je veux rester contre lui, pour tout me rappeler de lui. Pour échapper encore un peu à notre destin. Je ne veux rien oublier. Je veux conserver cette sensation d’allégresse qu’il m’a toujours procuré. Cette sensation unique, qu’il est le seul à m’offrir, Je refuse de le perdre.

Mes lèvres finissent par se perdre dans son cou jusqu’à atteindre son oreille.

« Je t’aime, sjelevenn. je murmure. A jamais. »

L’instant suivant, mes baisers reprennent le long de son cou. J’embrasse sa peau comme un joyau, en une caresse sensuelle chargée de tout l’amour que je lui porte. Comme si rien ne s’était jamais passé. Comme si il était rentré à la maison et que rien avait changé. Comme si il n’avait jamais disparu et que je n’avais jamais douté de lui. Mon alliance brûle à son contaçt, alors que mes doigts glissent à leur tour sous son vêtement. Je retrouve avec délice la texture de sa peau, son odeur entêtante et inoubliable. Je le débarrasse de son haut avant de reprendre avidement sa bouche.

Il y a tant d’amour, tant de dévotion, et tant de résignation dans sa manière de me serrer dans ses bras. Ma main glisse dans ses cheveux. Yeux clos, je laisse mon nez glisser contre sa joue pour aller, lui aussi, se loger dans le creux de son cou. Je me gorge de son odeur, conscient comme lui que c’est peut-être la dernière étreinte qui nous sera accordée. Sa voix, chaude et rauque, prononce ces mots qui font tant de bien à mon âme tâchée de noirceur. Léo aura été la lumière de ma vie. La seule que je n’ai pas totalement détruite.

Ses baisers tracent la ligne de mon cou. Je lâche un soupir brûlant. Mon bas-ventre brûle déjà pour lui. Mon tshirt disparaît avant que sa bouche ne reprenne ses droits sur la mienne. Mes doigts tirent sur le sien, désireux de lui réserver le même sort. Je veux sentir sa peau se consumer contre la mienne. Je veux retrouver son corps comme il m’a appartenu autrefois. Je veux qu’il soit mien, je veux être sien, comme nous nous le sommes promis lorsque nous avons échangé nos alliances.

Je parcours aveuglément son torse, me perdant corps et âme dans ce baiser au goût si particulier. J’effleure le contour de certaines de ses blessures et parcours les cicatrices que je connais par cœur. Chacune d’elles raconte un passage de sa vie. J’aurais aimé avoir plus de temps pour apprendre à connaître celles qui sont venues s’ancrer à sa peau entre ce jour maudit où je l’ai quitté et aujourd’hui.

- A jamais et jusqu’à la mort …

Je répète contre ses lèvres nos mots mêlés comme une promesse. Ma main s’infiltre sous son pantalon pour caresser l’érection sous son sous-vêtement. Ma langue se mêle à la sienne. Guidé par l’ardeur du baiser, j’avance et le repousse en même temps, jusqu’à ce que ses reins rencontrent à leur tour la rambarde du balcon. Mon corps ardant se presse contre le sien, déjà si affamé de lui. Ce faisant, ma paume continue de le toucher par-dessus le tissu, désireuse de lui soutirer quelques soupirs sulfureux pour ranimer ce brasier qui n’a jamais vraiment cesser de brûler entre lui et moi.

J’avais définitivement perdu la tête. Je me sentais fondre dans les bras de mon époux comme autrefois, en sachant pertinemment que ce sera la dernière. Lui et moi le savions, depuis le début. Depuis notre mariage et l’échange de nos voeux. Après tout, ça avait toujours été ça le plan. Cette folie qui nous a emportée en dépit de nos vies destinées à être brisées, à un moment ou à un autre. Nous avions eu la chance de vivre heureux, juste le temps d’un battement de cils, avant que la réalité ne nous rattrape. A présent, je voulais ignorer tout ça. Je voulais oublier son absence, oublier toute la souffrance pour ne garder que l’amour inconditionnel que je lui avais toujours porté. Je voulais le désirer à nouveau, retrouver l’amour de ma vie, celui qui avait emprisonné mon cœur sans jamais me le rendre.

En me perdant dans son regard alors qu’il murmurait ses mots d’amour, je le retrouvais. Jusqu’à la mort, qui semblait d’un coup tellement proche. Plongé dans ses iris, frissonnant sous ses caresses de plus en plus entreprenante, je me laissais happé par les délicieuses sensations qu’il m’offrait. Je me le permettais, enfin. Je m’abandonnais complètement à lui. Mes lèvres refusaient de le lâcher. J’étais avide de son corps et de sa chaleur électrisante. Mon dieu, il m’avait tellement manqué que ça en était douloureux. Mon âme le réclamais autant que mon être le désirais. Je soupirais chaudement sous ses attentions, le laissant me presser contre la rambarde à mon tour. Je voulais lui appartenir encore et raviver notre amour une dernière fois. Ma langue le charriait. Mes dents mordillaient ses lèvres pour le plaisir de provoquer ses ardeurs. Je le connaissais par cœur. Encore. Mes doigts se plaisaient à le redécouvrir, à chérir sa peau comme je le devais. Je tentais d’ignorer les battements de mon cœur lancé dans une course folle pour graver cet instant dans ma mémoire. J’aurais voulu mourir maintenant, sous ses caresses qui m’enflammaient un peu plus à chaque instant.

Ma paume se figea sur son torse le temps de reprendre mon souffle. Mon front trouva le sien. Le regard que je lui offris parlais à ma place. Je le repoussais, le faisant reculer pour retrouver la chaleur de son appartement et quitter son balcon. J’aimais la flamme qui animait ses yeux à cet instant, alors même que je le guidais à tâtons à travers le salon. Cette flamme, je voulais qu’elle me brûle, qu’elle me consume entièrement. Ma paume remonta jusqu’à sa mâchoire. Je ne me lassais pas de le regarder, avant que la tentation de ses lèvres soient devenue trop forte. Le canapé devait être là, quelque part, je le laissais nous y mener en reprenant à nouveau mes droits sur son corps. Aime moi. Maintenant et à jamais.