Le vrombissement de ma moto résonnait à travers les rues de la ville. Au volant de mon bolide, je fonçais droit vers la villa. Pour une fois, j’avais quitté le studio plus tôt que d’habitude. Ce soir, j’avais envie de faire plaisir à ma meilleure amie. L’idée même de la retrouver faisait naître un sourire sur mes lippes. Depuis qu’elle était arrivée chez moi, je n’avais de cesse de vouloir être avec elle. Je voulais rattraper le temps que nous avions perdu à être loin l’un de l’autre et la retrouver. Comme avant. Vraiment ? Quelque chose avait changé pourtant. Quelque chose d’imperceptible et de palpable à la fois. Nous nous étions retrouvés et pourtant, j’étais en manque de son amitié, sévèrement.

Alors ce soir, je voulais mettre les petits plats dans les grands. J’avais pris le temps de faire quelques courses avant de rentrer, puis m’était directement installer dans la cuisine après avoir enlever mon équipement et l’avoir abandonné dans le couloir. J’avais ensuite congédier Maddie, la domestique, pour retrouver le bonheur d’être seuls. Je ne voulais qu’être avec Kaylee ce soir. Fredonnant quelques paroles inventées en sortant les instruments dont j’allais avoir besoin, je fini par mettre un peu de musique. Un air de jazz ne tarda pas a s’étirer dans l’air alors que je me glissais dans ma cave à vin pour choisir une bouteille. Je n’avais jamais été très fan de ce breuvage, j’en buvais rarement, mais j’en avais envie ce soir. Alors j’avais choisi un arôme sucré, dont je m’étais déjà servi un verre pour me motiver à cuisiner. Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas fait. Depuis que Sarah était partie du jour au lendemain, j’avais perdu l’envie de concocter des plats. Je n’avais plus le goût de faire plaisir à quelqu’un, jusqu’à ce soir.

Enivré par la musique et le vin qui roula sur ma langue, je me mis enfin au travail. Je coupais les légumes, préparais la viande, tout en restant aux aguets, au cas où Kay descendrait me rejoindre, attirée par la musique ou l’odeur délicieuse de la cuisson. J’espérais que ma surprise ai l’effet escompté. Je n’avais soudain de cesse de ressasser ses derniers jours, depuis que ma meilleure amie était revenue dans ma vie. Je n’avais plus pensé qu’à ça. Qu’à elle. Je voulais la protéger, la rassurer, faire en sorte qu’elle oublie sa vie passée et qu’elle se tourne pleinement vers un avenir meilleur. Je l’avais protégée, chaque nuit, repoussant inlassablement mes congénères qui ne voyait en elle qu’une opportunité de se nourrir de son chagrin qui semblait ne pas avoir de fin. Je voulais la réparer et effacer ce gris qui peignait ses pensées tristes lorsque le sommeil l’emportait. Il lui faudrait du temps, je le savais. Cela prendrait le temps qu’il faudrait mais je serais là, quoi qu’il arrive. Je m’en était fait la promesse, lorsqu’elle avait débarquer avec ses affaires. Je ne supporterais plus d’être loin d’elle. Plus jamais.

Se lancer en colocation avec son meilleur ami, c’est plutôt cool. Ça l’est d’autant plus quand le meilleur ami en question est un célèbre musicien millionnaire. Barricadée dans la villa d’Orion, j’oublie tout le reste. Cet endroit est magnifique. La maison qu’il m’a fait découvrir est grandiose. Le jardin l’est au moins tout autant. Il y a tout ici pour chasser les pensées sombres qui me dévorent l’esprit depuis des semaines. Mais surtout, c’est la fidèle présence de mon ami qui m’aide à me défaire, doucement mais sûrement, des poids qui m’empêchent d’avancer.

Quittant le balcon, je traverse ma chambre à la recherche de mon téléphone. Orion m’a dit qu’il ne rentrerait pas trop tard ce soir, et je n’ai pas la moindre idée de l’heure qu’il est. Je retrouve l’appareil perdu dans les draps de l’immense lit. Mon geste s’interrompt lorsque j’avise les notifications qui apparaissent sur l’écran. Deux appels manqués d’Ollie et une nouvelle flopée de messages de nos connaissances communes, me demandant où je suis passée, sur les réseaux sociaux.

Grinçant des dents, j’efface minutieusement chacune des petites bulles flottantes et supprime sans même les écouter les nouveaux enregistrements vocaux sur mon répondeur. Je n’ai pas eu le courage d’affronter Ollie. Je sais que c’est cruel. Il a dû rentrer de mission et trouver la maison vide, sans autre explication que les placards éventrés.

Un seul texto a quitté mon téléphone, pour le prévenir que j’allais bien et que j’avais besoin de changer d’air un moment. Pas plus, pas moins. Mon maigre message ne lui a pas plu, évidemment. Mais Ollie a eu beau appeler et m’écrire, pour s’énerver, pour me supplier, chacune de ses tentatives est restée vaine.

Je m’applique à chasser le froid qui cherche sa prise sur mes épaules alors que mes pensées dévient sur son visage. Un soupir m’échappe. Idéalement, il faudrait vraiment que j’éteigne cet appareil de malheur, pour me couper de tous ces gens qui me demandent des comptes. Une légère mélodie me tire de mes idées noires. Etonnée, j’entrouvre la porte de la chambre pour tendre l’oreille.

Du jazz ! Orion est rentré !

Et il ne m’a rien dit, le vilain. Sourire aux lèvres, j’abandonne le portable sur ma table de nuit et me dépêche de traverser la villa. Mes pieds nus descendent le grand escalier. En quelques enjambées supplémentaires, je rejoins la cuisine et glisse le nez à l’intérieur.  

- Hey …

Je croise les bras et appuie mon épaule contre l’encadrement de la porte. Orion est en train de cuisiner, et je dois dire que la vision n’est pas déplaisante.

- Qu’est-ce que tu prépares de bon ?

Ne tenant pas plus longtemps à l’appel de la curiosité, j’approche de l’ilot central pour découvrir par moi-même les ingrédients qui tournent entre ses doigts. La manière qu’il a de manipuler son couteau a quelque chose de captivant.

- Tu as besoin d’aide ?

La délicieuse voix de Nina Simone m’accompagne dans ma préparation. D’un mouvement du poignet retrouvant une habitude presque oubliée, je m’affaire a couper les ingrédients de ma recette. Rien d’extravagant, j’espère même ne pas complètement rater mon plat, tellement j’ai l’impression d’avoir perdu la main, mais c’est l’intention qui compte, n’est ça pas ?

Kaylee entre dans mon champ de vision sans que je l’ai entendue arriver. Un sourire vient irrémédiablement se coller sur mon visage alors que je relève les yeux sur elle. Je me perds un instant à la détailler, appuyée contre le chambranle de la porte, ses cheveux légèrement décoiffés.

« Hey… »

Elle est belle, Kaylee. C’est une vérité qui tourne de plus en plus dans ma tête, presque chaque fois que je la vois. Peu importe ce qu’elle porte, peu importe le contexte. Je ne sais pas si c’est moi ou si sa présence chez moi à la particularité d’adoucir ses traits. Je l’ai toujours trouvée magnifique, mais quelque chose à changé en elle. Quelque chose que je ne saurais pas décrire. Lorsque je la regarde, j’ai l’impression de retrouver une partie de moi enfouie depuis longtemps. Des sentiments que je me suis évertué à ignorer, à cacher. Ou peut-être que je me fais des films, ce ne serait pas la première fois après tout.

« Une petite surprise. J’espère que ça te plaira. »

Je déposais mon couteau pour m’emparer de la bouteille de vin, puis du verre que j’avais mis de côté pour elle, le remplissant comme il se devait avant de le lui tendre.

« Ça devrait aller, j’ai presque fini. »

J’attendais qu’elle prenne son verre pour trinquer avec elle.

« A nous. »

Le verre tinta entre nous. Je ne la lâchais pas des yeux, curieux de voir sa réaction.

« Je me suis dis que nous n’avions pas encore vraiment fêter ton retour alors… J’ai congédier Maddie pour la soirée. »

Je reprenais une nouvelle gorgée puis me détournait d’elle pour m’emparer de ma spatule, glissant les légumes dans la poêle. Une délicieuse odeur m’envoutait les sens.

« Bon, je ne garantis pas la qualité du plat. Je suis pas mal rouillé. Ça fait un bail que je n’ai pas cuisiné »

Je lui lançais un regard mi désolé, mi amusé.

« Si jamais, on commandera des pizzas. »

Un léger rire m’agita alors que je détournais les yeux pour sortir les assiettes et les couverts.

La soirée s’annonçait des plus belles. La réaction de Kaylee face à ma surprise fit gonfler mon cœur d’ivresse. Lorsqu’elle prit son verre en main, je préférais ignorer la sensation de ses doigts contre les miens. En revanche, la voir rougir sous ce contact me provoqua un frisson bien trop agréable pour que j’arrive à l’ignorer. Elle était… Beaucoup trop mignonne ainsi. Beaucoup trop pour mon propre bien. Je me surprenais à me dire que j’étais foutu, si je commençais à la voir de cette manière. Et ce sourire…

« Ravi que tu l’aimes. J’avais envie d’un arôme fruité. Moi qui n’aime pas le vin, je dois dire que pour une fois, celui-ci passe tout seul. »

Je lui rendais son sourire en prenant une nouvelle gorgée de vin, retournant à mon plat dans la manœuvre. Je surveillais la cuisson d’un œil, ne pouvant m’empêcher de lui offrir un regard mutin lorsqu’elle parlait de tête à tête. Les souvenirs de nos soirées me revinrent en mémoire comme si c’était hier. Pourtant, l’adolescence était bien loin derrière nous à présent. Une vie s’était écoulée depuis. Ou plusieurs. Mais nous étions toujours là l’un pour l’autre, toujours.

« Je savais que l’idée te plairait ! »

Elle me redonnait le sourire, ma Kaylee. Un sourire que je pensais disparu depuis longtemps. Elle était la seule à me mettre dans cet état. À faire tomber mes masques, à me rappeler celui que j’étais vraiment, loin de mes démons. Rien que pour ça, je savais que je l’aimerais jusqu’à la mort. J’eus à peine le temps de sortir les assiettes qu’elle se précipita à ma rencontre pour m’en délester.

« Tu peux les mettre sur l’îlot, je pensais que ce serait mieux de manger dans la cuisine. »

C’était plus intime. En vérité, je n’avais aucune envie de manger sur une grande table où l’on pouvait caser une vingtaine de personnes. Ici, autour de l’îlot, sur les chaises de bar, ce serait bien plus agréable. Ses mots me heurtèrent plus que je ne m’y attendais. Elle avait cette façon de parler qui avait un pouvoir rassurant. Avant qu’elle ne change finalement de ton juste pour le bonheur de m’emmerder. Pour réponse, je lui offrais un sourire narquois.

« Ahahah. Je préfère que tu me le dises si c’est dégueu, au moins je saurais qu’il est inutile que je retente l’expérience. »

Je lâchais un rire léger et reprenais une gorgée de vin. Cette fois, le plat était prêt. Je coupais le feu et servais nos assiettes.

« J’espère vraiment que ça te plaira. »

J’aimerais vivre rien que pour ce genre de moment. J’avais oublié, pendant trop longtemps, à quel point j’aimais cette complicité que nous avions avec Kaylee. Cette fluidité, qu’il y avait toujours eu entre elle et moi. Ses mimiques, ses regards complices, réglés comme du papier à musique. Il n’y avait rien de fake, aucun de nous n’avait quelque chose à prouver à l’autre, nous voulions le bonheur de l’autre et cela avait toujours été ainsi. Elle m’avait manqué, beaucoup, souvent, lorsque les journées avaient été trop grises et le soleil trop éclatant. On me l’avait arrachée bien trop longtemps. À présent, je me nourrissais de chacun des instants que nous passions ensemble. Je chérissais sa présence et ce qu’elle représentait pour moi. Je me surprenais à la détailler à la dérobé plus qu’auparavant. À apprécier ce tic qu’elle avait souvent de remettre sa mèche de cheveux derrière son oreille. Presque autant que ce sourire mutin qu’elle se plaisait à m’offrir. Elle provoquait mon cœur ensommeillé, qui s’inquiétait des battements ensorcelant qu’elle arrivait à lui arracher. Ça faisait longtemps, que je ne m’étais pas senti aussi bien. Là où je devais être.

Sa question fini par me sortir de mes pensées, alors même que j’avais pris place à la table par automatisme. Un regard sur le plat que j’avais moi même préparé me fit revenir pour de bon au moment présent. Elle avait raison. Ça avait au moins le mérite de sentir bon.

« Oh tu sais… La routine si je puis dire. »

Je baissais les yeux sur mon assiette à nouveau, avec cette fois la ferme intention de goûter à mon plat. Du coin de l’oeil, je guettais la réaction de Kay, qui se faisait bien trop attendre à mon goût.

« J’étais au studio aujourd’hui. On a enregistré l’un des titres de mon prochain album. J’ai dû chanter inlassablement la même chanson jusqu’à ce que ce soit parfait. Quand ce n’était pas ma voix qui sautait c’était le micro, un vrai calvaire à vrai dire. »

Comme un réflexe, je massais ma gorge, comme si cela allait réparer le mal que j’avais fait à mes cordes vocales pendant la journée. Enfin, je pris une première bouchée de mon plat. Pas mal. Pas extraordinaire, mais pas mal. Je souris, plutôt satisfait en reprenant une gorgée de vin.

« Et toi ? Raconte. »

J’enquillais justement mon verre lorsqu’elle fit allusion aux fans qu’elle avait aperçu durant la journée, provoquant mon regard blasé. Étais-je lassé de toute cette attention ? Malheureusement oui et cela depuis un bon moment. Je n’avais jamais voulu être une star. Je voulais être un artiste. A croire que dans ce monde, c’était impossible. Entendre Kaylee se foutre de mon succès auprès des filles me fit sourire à mon tour, alors que je remplissais à nouveau nos verres.

« Encore ? Ça me désole, je te jure. J’ai jamais la paix, même chez moi… Tu crois que si je me balade à poil devant elles, elles s’en iront ? »

S’en était même sérieusement agaçant. Je voulais pouvoir jouir de ma villa en paix mais à moins de toutes les tuer, cela me paraissait plus que compromis. C’était le genre d’idée qui chatouillait Salazar, bien endormi quelque part dans un recoin de ma tête. L’idée même avait quelque chose de bien trop excitant à mon goût. C’était dangereux. Beaucoup trop.

Enfin, ma meilleure amie laissa transparaître son avis sur la nourriture, alors que j’avais moi même quelque peu délaissé mon assiette pour préféré l’alcool. Je souris, d’un sourire fier et satisfait en l’observant se régaler, comblée. J’aimais la voir comme ça. J’aimais provoquer ça chez elle.

« Heureux que ça te plaise. »

Mon regard c’était naturellement amarré au sien, sincèrement touché que mes attentions lui plaise. Après tout, c’était exactement ce que j’avais voulu en préparant cette soirée.

« Tu m’as manqué. »

Comme un souffle doux entre deux bouchées, mon aveu fila entre nous. Elle m’avait manqué. Il n’y avait rien de plus à ajouter.